Quel type de société souhaitons-nous ? Dès 1994, la philosophe Nancy Fraser1 distinguait trois modèles susceptibles de prendre la suite du « male breadwinner model2 » en analysant la capacité de chacun à réaliser l’égalité de genre.

L’« universal breadwinner model » (ou modèle du breadwinner universel) dans lequel tous les individus, hommes et femmes, consacreraient la quasi-totalité de leur temps à la production et à l’échange de biens et services en déléguant à d’autres les activités citoyennes et de soins, pousse les femmes à s’intégrer dans l’emploi sur un « patron » masculin et les deux sexes à ne plus se définir que par un seul type d’activité, le travail rémunéré.

Le « caregiver parity model », ou modèle de l’égale dignité des tâches de soins et du travail rémunéré, donc de celui qui apporte les soins et de celui qui apporte les revenus, reconduit les hiérarchisations à l’œuvre dans le modèle classique puisque même si les activités professionnelles et familiales sont reconnues comme aussi importantes les unes que les autres, si les secondes ne sont exercées que par les femmes, nul doute que les inégalités subsisteront.

Un troisième modèle apparaît possible, auquel Nancy Fraser ne donne pas de nom, mais qui se caractérise par le fait qu’hommes et femmes ont accès aux activités professionnelles et aux activités consistant à prendre soin, le temps consacré à celles-ci étant également partagé, un modèle que l’on pourrait appeler « à deux apporteurs de revenus/deux pourvoyeurs de soins ». Un tel modèle suppose, au lieu d’une imitation par les femmes du modèle masculin, une plus grande prise en charge par les hommes d’activités jusque là quasi exclusivement prises en charge par des femmes, de manière gratuite ou rémunérée.