Plusieurs forums regroupant environ 3000 professionnels de ce secteur se sont ainsi créés sur Hyderabad, Bangalore, Delhi, Bombay, Hubli, Chennai… avec l’appui des syndicats régionaux affiliés à UNI et avec le soutien financier du syndicalisme international. Ces forums constituent des lieux et espaces d’échanges entre professionnels du secteur, des plates-formes de services pour les membres affiliés, allant de la caisse de solidarité à l’élaboration de garanties collectives conventionnelles pour la branche concernée. Les jeunes cadres et ingénieurs ont souhaité donner à ces organisations un autre nom que celui de syndicat, afin de « sortir » d’une image classique de ces derniers et mettre l’accent sur les services professionnels destinés aux membres affiliés. Dans les faits, il s’agit bien d’organisation syndicale avec cotisation et services à l’adhérent, mais avec une forte dimension professionnelle attachée au secteur d’activité. Ce secteur IT est en pleine expansion en Inde. Il regroupe environ 400 000 salariés, dont une grande partie de jeunes diplômés, de 26 ans de moyenne d’âge. Ce secteur a connu une très forte progression depuis 10 ans passant de 160 000 en 1996 à 400 000 salariés en 2002. 70 000 jeunes diplômés sortent chaque année des écoles et universités indiennes. Une prévision de 2,2 millions de travailleurs dans ce secteur à l’horizon 2008 a été publiée récemment par des économistes.

Toutes les grandes multinationales du secteur se sont implantées en Inde, ces dernières années. Les écarts de rémunération avec les autres continents, Europe et USA, pour des jeunes informaticiens diplômés varient de 1 à 4, ce qui explique en grande partie l’attrait des grandes compagnies pour un personnel qualifié. Une politique active de soutien de ce secteur de la part du gouvernement qui a mis en place un ministère des Nouvelles Technologies explique également cette croissance à deux chiffres.

Sous l’impulsion des syndicats régionaux affiliés à UNI, ces forums ont permis à des jeunes professionnels de se retrouver, de dialoguer sur leurs conditions de travail, sur leurs rémunérations, sur des questions liées à la mobilité géographique ou internationale, à la formation professionnelle, au développement de leurs compétences. Les rencontres sur place de jeunes ingénieurs et techniciens supérieurs, de professeurs d’université, d’employeurs du secteur concerné ont permis de nouer de nombreux contacts, d’affirmer la présence du syndicalisme international, sa volonté d’organiser la syndicalisation des salariés de cette branche professionnelle, de promouvoir le dialogue social, l’élaboration de conventions collectives afin d’offrir aux salariés des garanties collectives. Les rencontres bilatérales avec de grandes entreprises du secteur IT, Microsoft, IBM, Infosys… sur place ont également permis de débattre des conditions d’émergence du dialogue social dans ces entreprises. La reconnaissance du fait syndical, le développement du dialogue social, le respect des normes internationales du travail doivent contribuer, à long terme, à réduire les écarts existants en matière de conditions de rémunération et de conditions de travail. Ces initiatives syndicales participent également d’une mondialisation mieux régulée.

Les leçons de l’expérience

Cette expérience syndicale de création des forums de professionnels en Inde est riche d’enseignements en matière d’évolution des formes de syndicalisme, et ce pour plusieurs raisons. Ces forums rassemblent des professionnels pour l’essentiel jeunes diplômés, ingénieurs en informatique, une population relativement distante, a priori, du syndicalisme. Ces jeunes ingénieurs ont clairement exprimé, au démarrage, leurs critiques vis-à-vis des organisations syndicales traditionnelles sur place car ne se reconnaissant pas bien dans les politiques de ces organisations. Ils souhaitaient créer leur propre structure, développer des services professionnels à leurs membres, même s’ils ne rejetaient pas l’appui et le soutien des organisations syndicales présentes localement. L’écoute, le dialogue, la construction de plate-formes de revendications et de services ont permis l’émergence de ces forums avec le soutien financier et opérationnel du syndicalisme international. De 150 professionnels sur deux forums à 3000 environ aujourd’hui répartis sur plusieurs grandes villes, le chemin parcouru est important. Il faut souligner combien cette démarche a permis de réinterroger sur place mais aussi au sein d’une grande fédération syndicale internationale la place et le rôle du syndicalisme dans ses différentes dimensions : reconnaissance et prise en compte des identités professionnelles, d’une catégorie de travailleurs dans un syndicalisme multi-catégoriel, interprofessionnel, approche marquée de développement des services aux adhérents, prise en compte dès l’origine de la dimension internationale du syndicalisme dans une économie mondialisée… toutes ces questions percutent le syndicalisme et l’invitent à s’interpeller sur ses finalités, ses modes de fonctionnement, ses solidarités. Cette expérience est très riche de ce point de vue, au-delà des résultats chiffrés obtenus. Comme l’a bien exprimé un affilié de UNI, il s’agit désormais « d’agir localement et de syndiquer mondialement ».