Les transformations du travail ne sont pas toujours accompagnées des évolutions appropriées dans la façon de reconnaître les compétences qui s’y déploient. Cette exigence vaut dans trois domaines : les classifications professionnelles, les systèmes de certification professionnelle qui structurent la formation professionnelle (diplômes, titres et certificat de qualification professionnelle CQP), l’accompagnement des transitions et mobilités professionnelles. Cette question interpelle également les méthodes et les grilles d’analyse du travail dans une période où l’attention institutionnelle s’est déplacée vers l’emploi et le chômage. Or les innovations technologiques, les nouvelles organisations de travail, la diversification des formes et des statuts d’emploi nécessitent de renouveler les représentations relatives aux compétences professionnelles. D’une part pour mieux identifier les éléments qui concourent à des pratiques professionnelles en phase avec les enjeux économiques, sociaux et environnementaux. D’autre part pour améliorer les potentiels d’évolution professionnelle des personnes en valorisant les dimensions transférables de leurs parcours professionnels. Sous ces deux angles le concept de compétences transversales devient un axe d’investigation important. Cette contribution a comme objectif de clarifier les notions de transférabilité et de transversalité dans le champ des systèmes de travail, de formation et d’accompagnement des parcours professionnels1.

Une appropriation insuffisante de la notion de compétences…

Le large éventail des secteurs d’activité, des métiers et des professions ne prédispose pas à un langage unique en matière de description et de définition des qualifications professionnelles. La façon de penser le travail, de le définir, de l’organiser renvoie à des traditions, à des cultures et à des identités qui seraient édulcorées, voire affadies, par une uniformisation des critères de reconnaissance des savoirs professionnels. Les traditions syndicales et professionnelles ont notamment une incidence non négligeable dans la façon de concevoir les systèmes de qualification professionnelle. Les conceptions étatistes qui ont relégué l’enseignement professionnel pèsent aussi sur la façon de définir, voire de hiérarchiser à la baisse les savoirs professionnels. Quant à la fluctuation des contextes socio-économiques, elle est également prégnante : le plein-emploi ou le chômage de masse ont des incidences non négligeables en matière de valorisation ou de dévaluation des qualifications professionnelles.

Depuis les années 80, les repères en matière de qualification professionnelle ont été déstabilisé à la fois par le chômage de masse et la sélectivité accrue du marché de l’emploi mais aussi par les transformations du travail (économie des services, numérisation, innovations de process et de produits, enjeux environnementaux, industrie 4.0, etc.). Dans ce contexte le système de formation et de certification professionnelle (diplômes, titres professionnels, CQP) a lui-même été fragilisé et n’est pas arrivé à s’harmoniser avec les besoins des personnes (faible usage de la VAE) et des entreprises (primat du niveau des diplômes au détriment de leur spécialité).

Cette situation renvoie aux limites des conceptions adéquationnistes, héritées de la période de pénurie de main d’œuvre de l’après-guerre, dans la façon de construire des systèmes de certification essentiellement ciblés sur les compétences spécifiques et techniques des métiers. Or l’accélération des innovations technologiques relativise la pérennité des compétences techniques menacées d’obsolescence ce qui déprécie également leur valeur dans le système de formation lui-même. L’acquisition des spécialisations et des spécificités techniques est de plus en plus assurée au sein des entreprises elles-mêmes ce qui suppose une réflexion sur la complémentarité des apports techniques des organismes de formation.

Aujourd’hui les différents types de certification doivent attester des acquisitions nécessaires à l’intégration dans une activité donnée mais ils doivent également répondre au fonctionnement du marché de l’emploi notamment en consolidant, dans les processus de formation ou de validation des acquis, les compétences transférables afin de favoriser le potentiel d’employabilité des diplômés (leur proximité avec un éventail de métiers).

Cette orientation ne va pas de soi dans un pays marqué par un sous-investissement dans l’apprentissage qui entretient un sentiment de pénurie de main d’œuvre qualifiée du côté des entreprises. Car la faible implication des entreprises dans l’enseignement professionnel et l’alternance a comme conséquence un sous-développement de leurs capacités formatives et une tendance à sur-qualifier à l’embauche.

Par ailleurs la fragmentation sectorielle (les 700 conventions collectives2) a minoré les conséquences du double mouvement d’introduction des critères serviciels dans les emplois industriels et d’introduction des normes industrielles dans de nombreux emplois de services. Cette évolution aurait dû inciter à un décloisonnement des référentiels de compétences de nombreux métiers de base de l’industrie et du secteur tertiaire afin de favoriser les mobilités intersectorielles et une fluidification du marché de l’emploi. L’attachement aux spécificités technico/sectorielles des métiers a ainsi retardé les investigations sur les compétences-clef ou transversales pourtant impulsées par une recommandation de 2006 du Parlement européen et du Conseil de l’Europe.

Les compétences… De quoi parle-t-on ?

Malgré les difficultés précédemment évoquées, il y a des convergences qui se sont imposées en matière de définition de ce qu’est une compétence. Celle-ci caractérise une personne (et pas un poste de travail), constitue l’élément de base des qualifications et des certifications professionnelles, se construit en situation (de travail ou de formation). C’est donc l’analyse de l’activité d’un individu ou d’un collectif qui est à la base de cette notion qui se décline en quatre volets :

Les compétences transversales se construisent dans les différents volets de l’activité sociale, culturelle, sportive, associative ou professionnelle. Leur manifestation est d’ordre relationnel ou situationnel (notamment rapport aux personnes, aux processus de production) et elles ne se développent pas indépendamment des autres types de compétences ou de connaissances3. On peut distinguer4 :

  • les compétences transversales à dimension sociale (interpersonnelle) mobilisées dans les activités à dominante relationnelle : travailler en équipe, être fiable dans ses engagements, savoir négocier, gérer et développer des relations interpersonnelles, être sociable, faire preuve d’empathie, savoir se contrôler, diriger une équipe, etc.
  • les compétences transversales liées aux processus, aux techniques ou aux matériaux : mettre en œuvre des modes opératoires, diagnostiquer un problème technique et le résoudre, savoir organiser son travail, planifier une activité, avoir le sens du travail soigné, contrôler la conformité d’un produit, veiller au bon fonctionnement des matériels, savoir gérer des aléas techniques, etc.

1 : Sur le sujet : « Quelle reconnaissance des compétences transversales ? » Education Permanente n° 2018, mars 2019 et « Partir des compétences transversales pour lire autrement le travail », Hors-série 2019 - AFPA/Education Permanente, mars 2019.

2 : Le processus de fusion des branches professionnelles impulsé par l’Etat devra intégrer cette question du lien entre qualifications/classifications des emplois et certifications dans une logique de renforcement de l’employabilité (potentiel d’évolution professionnelle) des salariés.

3 : Il est illusoire de pouvoir se former à ce type de compétences en dehors de situations et de contextes d’activité.

4 : Synthèse de trois typologies (évolution 21 de l’AFPA, Universal Competency Framework utilisé aux Pays-Bas par COLO et IRIS).