Consommation durable, investissements responsables, RSE, innovation sociétale… Ces 30 dernières années, l’émergence des enjeux environnementaux et éthiques dans le débat public a permis le développement de nouveaux concepts auprès des citoyens et des entreprises. Depuis 2013, le Basic analyse les modes de production et de consommation, ainsi que leurs impacts sociaux et environnementaux. En complément, il évalue aussi les coûts sociétaux liés à ces impacts, c’est-à-dire l’ensemble des pertes et dépenses, directes et indirectes, présentes et futures, qui sont supportées par des tiers ou par la collectivité dans son ensemble du fait des impacts sociaux, sanitaires et environnementaux des modes de production et de consommation.

La dernière étude publiée par le Basic porte sur la répartition de la valeur et des coûts sur la filière du cacao. Son constat majeur est l’asymétrie de la création de valeur entre amont et aval de la filière : en moyenne, 70% du total de la valeur et 90% du total des marges générées sur ces produits, depuis les producteurs de cacao jusqu’aux consommateurs finaux, reviennent aux deux derniers acteurs de la chaîne, à savoir les marques et les distributeurs. En vis-à-vis, seulement 18,6% de la valeur totale et moins de 7,5% des marges cumulées reviennent aux acteurs des pays producteurs de cacao[1].

Le constat est similaire dans la fast fashion. Le Basic a analysé en 2019 le modèle économique de Zara et estimé la répartition de la valeur, des coûts et des bénéfices pour un sweatshirt caractéristique de la marque, depuis la culture du coton en Inde jusqu’au consommateur final en France : sur chaque sweat vendu dans les magasins à un prix moyen de 26,70 euros, la somme des bénéfices générés par les différents acteurs de la chaîne s’élevait à environ 4,70 euros, dont 90% étaient captés par la marque[2].

Une étude antérieure, publiée en amont de la Coupe du Monde de football 2018, montrait déjà comment Nike et Adidas sont passés maîtres dans la création et la captation de valeur, d’un côté grâce à un investissement toujours plus élevé dans le sponsoring, de l’autre grâce à l’hybridation des tendances entre les mondes du sport et de la mode. Ainsi, si le taux de marge nette de Nike a augmenté de presque 40% entre 1995 et 2017, la part de valeur allouée aux travailleurs dans les usines de confection a baissé de 30%. Quant aux bénéfices générés par les fournisseurs, une fois payés les matières premières et les salaires, ils ont presque été divisés par trois, montrant la pression accrue exercée par les équipementiers sur les prix, et en cascade la pression exercée à leur tour par les fournisseurs sur leurs ouvriers[3].

L’impact sociétal des grandes entreprises françaises

En 2018, le Basic avait également étudié l’impact sociétal des grandes entreprises françaises, avec une estimation des coûts reportés sur la société par EDF, Total, Michelin, Renault et Sanofi qui prenait en compte le changement climatique, la pollution de l’air, la précarité de l’emploi, le soutien à la création d’emploi et le soutien à la création d’entreprise. Résultat ; chacune des entreprises étudiées représentait à elle seule un coût annuel de 165 à 460 millions d’euros pour la société française. Les coûts les plus importants étant ceux liés à la pollution de l’air suivis de manière plus inattendue par… les crédits d’impôts. Par exemple, en termes de changement climatique, Total affichait les coûts les plus élevés, loin devant Michelin et Renault[4].

A l’occasion de la 21ème conférence des parties à Paris (COP 21) fin 2015, et devant la multiplication des prises de parole des grands groupes français sur la question du climat, le Basic et l’Observatoire des multinationales avaient souhaité évaluer, au-delà des postures et des engagements, les politiques mises en place par les principaux sponsors français de la COP21 concernant leurs émissions de gaz à effet de serre. Accor, BNP Paribas, Carrefour, EDF, Engie, Kering, L’Oréal, LVMH, Michelin et Renault. Dix grands groupes français, à la fois membres du CAC 40 et sponsors officiels de COP 21 avaient ainsi été évalués en vis-à-vis d’un « profil idéal » d’entreprise engagée dans la lutte contre le changement climatique : une entreprise transparente, qui donne à tous les moyens de suivre l’évolution de ses émissions, directes et indirectes, sur toute sa chaîne de valeur, et qui sur ce périmètre respecte voire dépasse les objectifs fixés au niveau de l’Union européenne. Aucune des entreprises de l’étude ne correspondait à ce profil. Seules quatre d’entre elles (BNP Paribas, Carrefour, Kering et LVMH) publiaient des données suffisamment transparentes et cohérentes sur leurs émissions de gaz à effet de serre. A l’époque, seule une entreprise, EDF, semblait être parvenue à réduire son empreinte carbone globale, en partie grâce une source d’énergie controversée, le nucléaire, et à une conjoncture favorable (succession d’hivers doux)[5].

Au-delà de son travail de recherche, un autre enjeu pour la coopérative – le Basic est passé en SCIC en 2017 – réside dans la diffusion des résultats de ses travaux auprès d’un public non initié. A titre d’exemple, la vidéo « Marguerite » sur les impacts du lait en France a été diffusée il y a quelques années dans le cadre du festival Alimenterre, et dans le réseau des lycées agricoles[6].

Les impacts de nos modes de production et de consommation sur le climat, la biodiversité, la santé ou encore l’inégalité socioéconomique sont de plus en plus documentés et ne cessent de croître. Pourtant, les citoyens comme les décideurs publics et privés se retrouvent noyés dans un flot croissant et parfois contradictoire d’informations sur les causes et les solutions potentielles. Un constat qui explique en partie le fait que les pratiques alternatives capables de répondre concrètement aux principaux enjeux environnementaux et sociaux sont encore marginales… et que les impératifs de rentabilité économique à court terme et la recherche des prix les plus bas restent les moteurs principaux de notre système économique, et partant, de nos sociétés. En contribuant à l’objectivation des débats sur les enjeux sociétaux de notre époque, et en accompagnant les acteurs des transitions écologiques et sociales via la mise en place de nouveaux outils de pilotage et indicateurs, le Basic tente, à son échelle et avec ses partenaires, de remettre en question les rationnels des choix économiques. S’il n’est pas sûr que cela soit suffisant, c’est en tout cas nécessaire.

[1] Les producteurs de cacao ne recevant que 11% de la valeur et demeurant, pour une large majorité en-dessous du seuil de pauvreté. Cf. « Étude comparative de la répartition de la valeur au sein des filières européennes de cacao-chocolat », juin 2020. [2] « Le coût du respect selon Zara », étude pour Public Eye et le collectif Ethique sur l’Etiquette, novembre 2019.[3] « L’impact sociétal des grandes entreprises françaises », juin 2018. [4] « Gaz à effet de serre. Doit-on faire confiance aux grands groupes pour sauver le climat ? Étude de cas sur les sponsors de la COP 21 », novembre 2015. [5] « Gaz à effet de serre. Doit-on faire confiance aux grands groupes pour sauver le climat ? Étude de cas sur les sponsors de la COP 21 », novembre 2015. [6] « Etude de la filière lait française », juil. 2014.