On apprend aussi à manager en adhérant à la CFDT !

Je lis depuis longtemps et avec intérêt Cadres CFDT. J’ai eu l’occasion de tenir plusieurs postes de direction d’établissement à la SNCF au sein de l’Epic (établissement public à caractère industriel et commercial) et aujourd’hui en filiale. J’ai rodé mes pratiques au cours de 30 ans d’exercice du management, ce qui n’est ni original, ni un exploit.
Mais si les fonctions techniques, commerciales, communication, gestion ont toutes leur intérêt, c’est bien dans la direction des équipes que l’on retire les plus grandes satisfactions. Il faut en revanche avoir la modestie de reconnaître qu’on ne sait pas tout, qu’on peut se tromper, qu’on apprend tout le temps et dans des espaces divers. La réussite dans ce domaine est la résultante de pratiques, d’apprentissages et de rencontres. Les exemples à copier ou à éviter sont aussi instructifs. Le management, tel qu’on l’exerce, peut être remis en cause dans une situation nouvelle (conflit, restructuration, fusion...) ou à l’occasion d’une nouvelle prise de fonction. Il existe pour chaque cas une réponse pédagogique ; mais comme pour l’éducation des enfants, les bibliothèques sont fournies sans que le résultat ne soit garanti ! Bref, l’exercice n’est pas simple, même si c’est une banalité de le rappeler !
J’aurais aimé, à ce propos, apporter un complément au dossier « Apprendre à manager » de Cadres CFDT (n°458, avril 2014) basé sur mon expérience : on apprend aussi à manager en étant adhérent à la CFDT, ce que je suis depuis longtemps, tout en exerçant des fonctions managériales. Précisons que je ne parle pas de militantisme actif. Celui-ci étant quasiment incompatible, à mon sens, avec l’exercice de direction, sauf sans doute dans des cas très spécifiques.
Une information plus complète et plus ouverte est disponible au syndicat
L’adhésion entraine l’abonnement à des revues comme Cadres CFDT,
Une information anticipée est fournie
Avant que les médecins du travail ne nous alertent sur les troubles musculo-squelettiques, un article de CFDT Magazine sur les maladies professionnelles des caissières de grandes surfaces ou des opérateurs aux postes de découpe dans les abattoirs avait attiré mon attention. Dernièrement, un reportage sur les conditions de travail des vendeurs des boutiques dans les grandes gares nous alertait sur les aménagements des locaux de vie dans des espaces de travail réduits. Ces exemples simples mais concrets illustrent que l’information syndicale permet d’anticiper et d’être vigilant. Ce qui fait conflit sur d’autres unités, d’autres secteurs géographiques ou professionnels, peut arriver prochainement dans mon entreprise, dans mon unité. Si « diriger, c’est prévoir », l’information syndicale est un outil qui permet ainsi d’enregistrer des signaux d’alerte.
Quand on ne connaît pas, on a peur
Rencontrer des syndicalistes n’est pas forcement très naturel pour un cadre nouvellement promu ou sorti des écoles. La fréquentation, mesurée certes ( !) des « grandes gueules » du syndicat est cependant salutaire. Qui se cache derrière le délégué historique qui « la ramène » fréquemment ? Souvent un homme ou une femme sincère, fort de convictions plus que de certitudes et qui, sorti de la salle de spectacle du CE ou du hall de l’entreprise, saura expliquer ce qui coince dans le management de l’unité. Il aura bien souvent un historique de l’entreprise qui n’a pas été archivé et qui est parti au fur et a mesure des mutations de l’encadrement. Faut-il encore ne pas avoir peur de lui ou d’elle et savoir l’écouter. Mais le cadre apprendra de cette rencontre et abordera le dialogue social avec l’ensemble des partenaires sociaux avec moins d’appréhension.
Des rencontres avec des délégués syndicaux ont pu être prévues lors de sessions de formation de cadres. Les cédétistes sont souvent volontaires pour ces modules intégrés dans des programmes d’amélioration du dialogue social. Il me semble que ces rencontres sont bénéfiques à tous lorsque le top management considère que l’amélioration du dialogue social est un objectif prioritaire...
Etre syndiqué permet de retrouver du collectif dans le cadre du travail
L’exercice de direction est parfois solitaire et le cadre se retrouve classiquement coincé entre les objectifs que lui fixe un siège ou une direction centrale et les difficultés à les mettre en œuvre avec parfois des résistances fortes. C’est une donnée presque permanente de l’encadrement lorsqu’il exerce une autorité hiérarchique ou une mission transverse. Etre syndiqué permet de retrouver un groupe dans un cadre de travail dans lequel le cadre va être un parmi d’autres, une voix, un avis, un adhérent. Il est bien sur contredit, contré, voire contesté dans son double statut de dirigeant et de syndiqué mais il conforte ses positions, les soumet a des avis contraires, amorce un dialogue. Il se retrouve dans un collectif bienveillant où il peut laisser son costume de patron à l’entrée, s’exprimer, faire part de ses critiques.
Côtoyer des salariés qui disent « non » est sain
La formation scolaire et universitaire apprend à savoir, « à avoir bon » et imprime dans l’esprit des futurs dirigeants que s’ils travaillent bien, ils « auront bon » et que du coup, leur dossier passera. La fréquentation du syndicat permet, elle, de rencontrer des salariés qui disent « non ».
C’est à mon sens triplement bénéfique :
- le dirigeant descend pour un temps de son estrade et rencontre des opposants qui ne vont pas hésiter à le contredire,
- il va être obligé d’argumenter, de démontrer et surtout d’imaginer un plan B, une reprise de l’approche, un changement d’interlocuteur. Une brillante DRH s’étonnait que je lui demande avant une négociation : « et s’ils ne veulent pas, que fait-on ? » Cela lui paraissait inimaginable puisque le dossier était bon. Mais la rencontre se passait d’autant mieux que nous l’avions préparée en imaginant les scenarios alternatifs. Fréquenter le refus va ainsi apprendre à imaginer comment faire face au refus.
- le troisième bénéfice, c’est que ce cadre qui fréquente le syndicat va apprendre à dire « non » va être contaminé ! Et c’est en cela qu’il va ajouter de la valeur dans sa pratique. Il va se mettre à dire « non » ou « non pas de cette façon » ou « non, pas maintenant » ou « oui mais avec untel si on veut que ça marche »… Car pour un dirigeant, quoi de plus dangereux que le cadre qui dit toujours « oui » ? Combien de projets qui ont mal fonctionné dans les entreprises doit-on à des cadres trop conciliants ? Le cadre contestataire ne défend-il pas mieux, parfois, les intérêts de son entreprise ?
Le prix à payer
Bien sûr, il y a un prix à payer pour cette adhésion : celui de l’étiquette qui fait que vos actes managériaux sont appréciés par certains comme étant liés à votre adhésion. Mais également la suspicion du top management, l’étonnement des collègues, l’agressivité parfois renforcée des autres syndicats pour qui le patron cédétiste peut être l’ennemi par excellence, peuvent être rencontrés à des niveaux plus ou moins forts. Mais cela apporte aussi ouverture et connaissance. Cela renforce parfois sa propre détermination à concilier exercice de direction et prise en compte d’aspirations individuelles et collectives. Par ailleurs, il ne faut pas nier non plus que le dirigeant syndiqué peut être parfois « encombrant » pour les militants, surtout lorsque le clan des « nonistes » fait recette avec les messages les plus démagogues.
Ce n’est donc pas la piste la plus facile. Mais n’hésitons pas à dire et redire, alors que l’audience de la CFDT va croissante chez les cadres, que l’adhésion syndicale peut améliorer la pratique managériale.