Organisées conjointement par le ministère de l’éducation nationale, de la recherche et de la technologie et par le ministère de l’économie, des finances et de l’industrie, les assises de l’innovation se sont tenues à Paris le 12 mai 1998, point d’orgue d’une série de rencontres régionales plus ou moins spécialisées (micro-technologies à Grenoble, espace et société de l’information à Toulouse, environnement et agro-alimentaire à Rennes, etc.) tenues dans les semaines précédentes.

Les assises régionales ont apporté des diagnostics parfois assez proches tant du rapport Guillaume que des nombreux articles publiés dans la presse spécialisée. Mais les recommandations, au-delà des généralités quelque peu incantatoires (« desserrer les freins culturels et réglementaires à l’innovation » (Grenoble, micro-technologies)), portent sur différents points précis. Les symbioses entre équipes de milieux différents ont été recommandées. Il est apparu indispensable d’atteindre une masse critique par l’unité de lieu (Grenoble, micro-technologies), on préconise ainsi les plates-formes de réseaux de compétences, « reposant sur la participation de différents acteurs industriels, chercheurs et représentants de collectivités locales, permettant la prise en compte des besoins, des demandes ainsi que des réponses scientifiques et technologiques adaptées » (Lille, transports) et l’on note que « la proximité géographique des PME-PMI et des laboratoires de recherche facilite les bons rapports » (Montpellier, eau).

Il faut « amplifier « l’effet campus » en créant des centres de ressource technique et de management pour accompagner l’initiative de création d’entreprises et de projets innovants » (Strasbourg, technologies du vivant).

La taille critique peut aussi être atteinte par le système des réseaux. « L’innovation se confirme être en effet un processus long et complexe qui requiert dès le départ une hybridation de la recherche avec une grande diversité d’autres métiers dans une véritable alchimie scientifique, technique, réglementaire ou commerciale. Or, les réseaux s’avèrent être d’excellents moyens de lutter contre l’éparpillement des structures, d’atteindre des tailles critiques, de réduire les coûts des échanges, d’enrichir les compétences et de créer des effets de synergie » (Rennes, agro-alimentaire).

On peut quand même s’étonner de trouver des propositions qui se pensent sans doute révolutionnaires comme « développer une culture d’innovation et d’entreprise, dès l’enseignement supérieur » (Grenoble, micro-technologies) quand elle font joyeusement l’impasse sur l’enseignement pré-bac, qui concerne la totalité de la population et détermine souvent fondamentalement la trajectoire des personnes en matière d’enseignement supérieur et de professionnalité. D’autres prennent le pré-bac en compte : « mettre en place dès l’enseignement secondaire et surtout au niveau universitaire la pédagogie par projet et les travaux en groupes autonomes, afin de développer l’esprit de créativité et la capacité d’autonomie » (Montpellier). On note néanmoins qu’il existe en France « une certaine hiérarchisation des valeurs entre sciences pures et technologies qui commence dès l’enseignement secondaire pour se prolonger jusque dans l’enseignement supérieur » (Grenoble, énergie) et on pense qu’« il doit être mis fin au clivage existant dans notre culture française entre science et technologie, clivage qui paralyse et stérilise » (Marseille).

« Si la mobilité des chercheurs est reconnue comme facilitant la démarche d’innovation, elle reste malheureusement plutôt un mythe qu’une réalité », souligne Lille (transports) parce que les freins à la mobilité sont nombreux : « statut actuel du chercheur relevant de la fonction publique » mais aussi « mauvaise connaissance des possibilités statutaires » et « différence culturelle entre le monde de la recherche et celui de l’entreprise » alors que « les seules motivations susceptibles d’engager le chercheur sur la voie de la mobilité restent la volonté d’aller jusqu’au bout de son sujet, une possibilité offerte d’autonomie de prise de décision, un sentiment d’utilité et parfois l’argent » (Lille). « L’évaluation des chercheurs, leurs statuts, sont des obstacles aux échanges. Notamment, de nombreux freins s’opposent aux échanges de personnel entre bureaux d’études et laboratoires publics, à l’essaimage, à des mises à disposition de longue durée, aux ponts de carrière en général entre ces deux « mondes » (Montpellier, eau), car « si une plus grande mobilité des chercheurs est un élément essentiel pour développer le processus d’innovation, il apparaît que l’ouverture des laboratoires aux ingénieurs serait aussi un élément clef pour l’innovation » (Montpellier, eau). Mais on ne saurait « faire l’économie de l’obligation, pour la recherche publique, de continuer à viser l’excellence scientifique et technologique de façon à être à même de mobiliser pour l’innovation l’ensemble des connaissances disponibles dans le monde » (Rennes, agro-alimentaire).

Le constat est fait d’un « manque de visibilité du dispositif français d’innovation, tant au niveau des compétences disponibles dans les différents centres de recherche que celui des diverses structures d’aide et de transfert » (Rennes, agro-alimentaire). Tout le monde appelle à l’amélioration de la lisibilité et de la transparence des structures de transfert éventuellement « sans faire d’a priori sur leurs formes juridiques (SA, association loi de 1901) » (Montpellier, financement), certains préconisent d’« imaginer des dispositions facilitant l’essaimage des chercheurs et l’accueil des ingénieurs de bureaux d’étude dans les organismes de recherche » (Montpellier, eau) car l’organisation de la recherche peut être « multiple (réseau d’équipes publique/privé, plate-forme technologique pluridisciplinaire, collaboration sur un site) » (Strasbourg). Il faudra aussi « apporter une aide aux PME pour la protection industrielle de l’innovation, comme l’ANVAR le fait pour le développement » (Strasbourg).

Les stock options peuvent servir à attirer des « cadres de haut niveau indispensables à la bonne évolution d’une start-up » mais le système actuel est jugé « pas assez attractif » (Grenoble, micro-technologies). Certains participants ont demandé « la possibilité pour un chercheur du secteur public de devenir actionnaire (sous forme de stock options, par exemple) de l’entreprise qu’il fonde » (Marseille). D’autres demandent de « rendre la formule des stock options encore plus attractive fiscalement afin de permettre aux jeunes entreprises de trouver les ressources humaines dont elles ont besoin et de développer un large actionnariat au niveau de ses salariés » (Montpellier, financement).

Est-ce l’esprit d’entreprise ou les capitaux à risques qui manquent le plus en France ? Les réponses sont nuancées « ce qui fait peut-être globalement le plus défaut à l’heure actuelle en France, ce n’est pas tant la communication et la coopération entre la recherche publique et le tissu socio-économique que la capacité de financement risqué dans les toutes premières phases du processus d’innovation. Il semble y avoir la nécessité de mettre en place un mécanisme d’abondement et de créer des fonds d’amorçage, sans doute d’ailleurs à l’échelle européenne » (Rennes, agro-alimentaire). « Si la société française n’est pas bien préparée à cette dynamique entrepreneuriale, l’état d’esprit du créateur d’entreprise gagne du terrain dans notre pays. Il constitue en outre une réponse pertinente à la question du chômage » (Toulouse).

Certaines rencontres ont noté « une amélioration de la qualité et de l’efficacité des relations entre entreprises et recherche publique depuis une dizaine d’années », grâce d’une part à la meilleure intégration par les laboratoires de recherche de la nécessité d’être présents dans le domaine de la technologie et d’apporter une réponse à la demande industrielle ; d’autre part à la prise de conscience par les petites entreprises de leurs besoins en connaissances amont pour la définition de leurs produits et procédés de fabrication, ce qui conduit à ce que « la demande contribue à l’orientation de l’offre » (Grenoble, énergie).

Ailleurs, on a insisté sur la nécessité du « guichet unique et sur place » à l’échelon régional (Marseille). Depuis la loi d’orientation et de programmation de la recherche de 1982, « les politiques de valorisation et de transfert ont été mises en place » et « la France dispose d’une base solide de femmes et d’hommes motivés et formés aux différents métiers de l’innovation » (Montpellier, financement).