Le gel des activités économiques imposé par la situation sanitaire a réveillé les ambitions d’une relance de l’économie sur des bases plus respectueuses des enjeux environnementaux et sociaux. Il s’agit d’une part de construire un développement qui respecte des limites de notre écosystème, sachant les défis qui attendent les futures générations en termes de réchauffement climatique et de raréfaction des ressources naturelles. D’autre part, il est question de bâtir une société harmonieuse, respectueuse des aspirations de chacun, qui préserve un niveau de vie décent pour tous, et des possibilités d’évolution sociale, face à l’augmentation inéluctable de la population, et face aussi à une automatisation des tâches répétitives, qui bouleverse l’éventail des métiers disponibles autant que le choix des cursus de formation nécessaires pour obtenir ou conserver un emploi.

Le maintien à l’emploi des populations plus âgées passera par un renforcement des compétences technologiques. Une communication accrue entre les générations devra être mise en place pour éviter de perdre des savoirs, les usages qui font la valeur de certains métiers, et dont les jeunes générations ressentent cruellement le besoin. Les collectifs devront veiller de façon accrue à l’ajustement des compétences pour éviter des discriminations par l’âge des salariés. D’une manière générale, les activités répétitives seront à terme automatisées, poussant les salariés à devoir se former à la supervision des machines, ou à des activités non automatisables, de relation humaine ou de créativité. Ces salariés devront pouvoir compter sur des accompagnements propres à éclaircir leurs perspectives, et éclairer leurs choix professionnels. Des emplois seront créés, d’autres seront détruits du fait d’externalisations et de délocalisations. L’évolution des usages et des modes de consommation viendront renforcer le secteur du e-commerce notamment. Les périodes de confinement ayant démocratisé l’usage de la virtualisation et du travail à distance. Les emplois créés seront dès lors beaucoup plus ancrés dans le territoire, autour de bassins de vie, mais aussi plus techno-centrés, et demanderont à ce titre des efforts de formation, pour suivre les mutations technologiques.

 Le travail se diversifie de plus en plus, tant par son organisation que par ses formes. Si le salariat va rester largement majoritaire dans les prochaines années, une tendance vers d’autres formes de travail non-salarié comme l’auto-entreprenariat ou le travail indépendant, le slashing se dessinent et pourraient aussi s’accentuer la précarisation des travailleurs, face à la recherche croissante d’une autonomie plus grande au travail. Dans les organisations privées et publiques, se développent par ailleurs les méthodes agiles, qui pour s’adapter au plus juste à la demande des clients, exposant les salariés à des risques importants de burn-out, de dépassement des horaires, et plus généralement accroissant la déshumanisation, la perte de responsabilité et la fragmentation des tâches, et rendant plus difficile une correcte évaluation du travail accompli.

Si la transition écologique demande des adaptations des usages et des métiers, sa nature inéluctable nous oblige à nous incliner devant des impératifs, sans pouvoir à proprement parler changer la nature des évènements qui nous attendent. Tout au plus pouvons-nous ralentir leur survenance, amoindrir à notre mesure les effets, qui sont le prix à payer d’un siècle d’industrialisation. Reconnaissons que notre pouvoir est sur ce sujet assez limité. Nous ne serons jamais les inventeurs d’une solution de captation du CO2, en mesure d’éponger un siècle de débauche énergétique. Tout au plus pouvons-nous polluer moins, à notre mesure de citoyen ou d’organisation, changer des usages, développer des métiers et des filières plus respectueuses et moins consommatrices.

A contrario, la transformation numérique de notre société et ses impacts sur l’emploi sont directement dans notre champ de compétence, et nous permettent d’agir sur la nature de cette révolution pour tenter d’en détourner la course folle. La fausse complexité du sujet nous enfume et masque notre responsabilité directe sur notre devenir collectif. Les mots peuvent sembler un peu forts, mais actuellement tous les développements numériques sont laissés entre les mains d’impératifs économiques et financiers, et ne servent que de manière anecdotique le lien humain qui était pourtant à l’origine du projet, et qui en a assuré le succès dès les premières années d’Internet. Cet esprit « Californien » du libre partage des connaissances a vite disparu au profit du culte de la rentabilité. Cette philosophie du lien gratuit a laissé place à un culte de la productivité, qui pour être orienté par le monde professionnel, n’en régit pas moins toute notre vie personnelle, de notre salon à notre poche, jusqu’à entremêler dangereusement ces univers.

La société actuelle voit l’économique prendre dangereusement le pas sur le lien humain. L’innovation est ainsi exclusivement prescrite par le rendement et la productivité, directement inspirée par les impératifs économiques du monde professionnel. Les confinements successifs ont confirmé notre aliénation à l’outil numérique, fenêtre ultime avec l’extérieur, et devenu le tunnel obligé de notre socialisation. Tout le monde est maintenant connecté, joignable par mail, et familiarisé avec le lien dématérialisé, avec toutes les dérives qui ne feront pas l’objet de cet article, tant elles sont communément dénoncées comme potentiellement intrusives et addictives. Ce monde numérique ne fait plus peur, car nous avons tous dû franchir le pas pour survivre, et inviter le bureau chez nous.

J’aimerais néanmoins poser ici l’opposition fondamentale qui existe entre le lien humain fondateur de toutes nos plus belles réussites, et celui du chiffre, qui nous est de plus en plus imposé par notre univers, et qui nous transforme contre notre gré en des gestionnaires de l’impossible, en des robots rendus coupables d’inexactitude. Ce qui est fondamental c’est pourtant l’humain. Tous nos systèmes, ceux qui perdurent, toutes nos sociétés, celles qui survivent, ont été fondées sur notre besoin de lien. Et toutes les technologies durables ne sont que des outils pour créer du lien, pour aimer et être aimé. Soigner, nourrir, réchauffer, aimer. Tout ce qui nous éloigne de ce but est systématiquement voué au désintérêt et à l’échec. Demain sera certainement le retour de l’humain, aidé par les technologies. Et pas l’inverse. Les automatismes peuvent être des outils qui vont nous libérer d’une partie des tâches automatisables. En conséquence, nous allons devoir nous redéployer vers des métiers plus humains, à notre mesure, et mieux distribuer le travail, ce qui reste à mon sens le plus grand défi des années à venir. Mais on ne bâtit rien sur la crainte. La générosité reste la clef universelle pour construire ; elle doit être notre guide.

Et pour garder une certaine conscience dans ce progrès qui nous dépasse un peu, nous devons tous nous impliquer dans la nature des développements technologiques, et des choix qui nous sont imposés. Nous devons nous intéresser à ce monde numérique qui n’est pas si inabordable qu’on le croit, nous former toutes et tous, pour comprendre comment l’humain peut conserver sa place dans la société future.

Laisser le chiffre gagner n’est pas un bon calcul sur le long terme. Ceci est donc une invitation à une réflexion sur les métiers de demain, et à l’intégration de tous dans la conception des automatismes numériques. Les seuls horizons du numérique ne sont pas seulement les profits et le remplacement des travailleurs par les robots. Nous pouvons replacer l’humain au centre des systèmes qui sont censés le servir.