Les trente dernières années la fonction ressources humaines (RH) ne s’est pas contentée de changer de terminologie. Le chef du personnel devenu DRH a vu ses missions évoluer. Sa position et son rôle sont devenus plus stratégiques. Longtemps limitée à des tâches administratives et de contrôle, la fonction s’est orientée naturellement vers des missions à plus forte valeur ajoutée (formation, développement des compétences et gestion des hommes clés, détection des talents, transformation numérique). Désormais, les DRH innovent au quotidien, laissant plus de place à la réflexion stratégique et au développement à moyen et long terme. Améliorer les compétences des salariés pour les rendre plus performants et efficaces. Adapter les ressources de manière qualitative et quantitatives aux exigences du marché, telles sont les priorités de la fonction RH. Le dernier modèle de Ulrich reprenait neuf rôles pour le DRH contre quatre dans celui de 1996[1]. D’après ce modèle, les RH sont efficaces car capables d’identifier et de gérer les paradoxes et zones de tensions inhérentes à l’entreprise et au contexte professionnel. Même si les tâches opérationnelles quotidiennes subsistent, les missions nécessitant une forte expertise se multiplient et les profils de DRH ont changé. De nombreuses formations de niveau bac+5 se sont développé et ont accompagné cette mutation.  Finie la gestion administrative au jour le jour des collaborateurs ! Rester dans un cadre normatif contraignant limiterait toute innovation et toute prise de risque. Les DRH ont pris le parti de la créativité et de l’agilité. Leurs capacités d’adaptation ont d’ailleurs été mises à rude épreuve pendant la crise sanitaire que nous traversons.

Des DRH tiraillés par des injonctions paradoxales

Désormais plus proche du pouvoir, le DRH est également plus proche des salariés. Le DRH aurait-il développé une forme de schizophrènie ? Un reportage intitulé « l’exécuteur : confession d’un DRH », diffusé au cours de l’émission Envoyé Spécial en 2018 a d’ailleurs à l’époque questionné sur le rôle du DRH dont l’image se trouve alors profondément ternie.

Cette présentation édifiante des méthodes d’un DRH laisse à réfléchir sur les véritables enjeux de la fonction. Les licenciements sont-ils une fin en soi alors même que les média regorgent de sujets sur la RSE et mettent en avant les nouveaux chief hapinness officers ?[2] Les DRH sont parfois mis à mal émotionnellement et évoluent dans un contexte organisationnel souvent cynique. Pour Guillaume Mercier, le « cynisme organisationnel » peut se définir comme « une attitude négative à l’égard de l’organisation qui comprend trois dimensions : (1) une croyance que l’organisation manque d’intégrité ; (2) un sentiment négatif à son égard ; et (3) des tendances à des comportements de discrédits à l’égard de l’organisation en accord avec ces croyances et ces sentiments ». [3]D’un côté ils doivent rendre heureux les collaborateurs et également plaire aux actionnaires[4].

Une nécessaire transformation digitale de la fonction

La mutation digitale de la fonction, déjà bien engagée s’est accélérée avec la crise sanitaire. En effet, a transformation digitale de la fonction RH n’est pas récente. Dans les années 1970 les premiers logiciels orientés paie commencent à être utilisés. Les années 1980 ont été marquées par le développement des SIRH. Au cours des années 2000, Internet a permis de développer de nombreuses solutions et pratiques autour du e-recrutement, de la e-formation, des portails RH, des réseaux sociaux. Depuis 2010, on constate une utilisation a accrue : des réseaux sociaux ; des contenus multimédias (notamment vidéos dans la formation) ; de l’analytique RH; du recours au mode SaaS2[5] dans les offres numériques RH ; de la dématérialisation[6]. Cette mutation correspond à une transformation des différents processus : recrutement, formation, rémunération, gestion des compétences, qui intègrent désormais les outils digitaux[7].

Une fonction en première ligne qui a su faire preuve d’agilité et a été capable de se réinventer

Le 17 mars 2020, un confinement généralisé est imposé par décret en réponse à l’épidémie de Covid-19. Dans le cadre de plans de continuité, les entreprises organisent une forme de télétravail contraint, à temps plein pour les collaborateurs éligibles. Cette situation inédite mobilise les services RH qui doivent mettre en œuvre le management à distance, le chômage partiel, les arrêts dérogatoires pour garde d’enfants, des formations aux nouveaux outils technologiques. Pendant le premier confinement, 35% des personnes en emploi ont continué à se rendre sur leur lieu de travail et 34% ont télétravaillé alors même qu’avant le confinement de mars 2020, certains individus n’avaient jamais travaillé à domicile ou même exploré les outils de travail collaboratif en ligne. De même, un tiers des personnes en emploi a subi une restriction d’activité susceptible de réduire le revenu du travail, dont 27% une période de chômage technique ou partiel. Par ailleurs, 35% des parents avec un enfant de moins de 14 ans ont eu des difficultés à assurer en parallèle de leur activité professionnelle suivi scolaire. 12 millions de salariés auraient été concernés et de nombreux DRH mobilisés. Replongés dans un premier temps dans des tâches administratives exécutées dans l’urgence (gestion des arrêts, fourniture d’attestation dérogatoire, variables de paye avec le chômage partiel, réunions avec le CSE), leur rôle stratégique est renforcé. En effet, l’obligation générale de sécurité à l’égard de ses salariés[8]. Est applicable en situation, de télétravail. L’employeur doit prendre les mesures préventives nécessaire pour protéger la santé physique et mentale des salariés confinés. Le télétravail peut aboutir à une certaine porosité de la frontière vie professionnelle/vie privée, un stress, un burn out, des difficultés à se déconnecter. Les DRH confrontés à ces risques psychosociaux émergents doivent mettre en place des mesures préventives et curatives.

Les cas de harcèlement managérial en situation de télétravail se sont également multipliés, appelant à la vigilance des DRH[9]. Le protocole sanitaire, revu à plusieurs reprises par le ministère du travail a également contraint les DRH à revoir des procédures, organiser de manière différente les postes de travail.

Pour toutes ces raisons, les DRH, longtemps considérés comme simple fonction support, s’avouent épuisés. Selon le baromètre annuel des éditions Tissot[10], le manque de temps et de ressources internes demeurent en effet la principale difficulté au quotidien pour 61% des personnes interrogées, devant le suivi des évolutions réglementaires (42%). Et les trois quarts (73%) disent consacrer au moins la moitié de leur temps à des tâches administratives[11]. Comme le rappelle Jean-Marie Peretti, la fonction RH s’inscrit désormais dans une « trajectoire de crise »[12]. Les DRH s’adaptent au monde d’après avec agilité. Leur rôle plus que jamais est essentiel à la performance et la pérennité des organisations.

[1] Cf. blog.ncoi.be/fr/rh-learning-droit-social/explications-de-la-nouvelle-version-du-modele-de-dave-ulrich/ [2] Cf. Jacques Igalens, in cairn.info/ressources-humaines-et-responsabilites-societales--9782847695953-page-11.htm. [3] Cf. cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2017-5-page-53.htm?contenu=resume. [4] Cf. theconversation.com/entre-team-building-et-plans-sociaux-le-blues-du-drh-93865. [5] Software as a Service (« logiciel en tant que service »),  solution applicative hébergée dans le cloud et exploitée en dehors de l’organisation ou de l’entreprise par un tiers, aussi appelé fournisseur de service. [6] Cf. Baudoin, Diard, Cherif, Benabib, in cairn.info/transformation-digitale-de-la-fonction-rh--9782100767595.htm. [7] Pour en savoir plus : latribune.fr/opinions/tribunes/digitalisation-menace-ou-opportunite-pour-les-fonctions-support-770888.html et lesechos.fr/idees-debats/cercle/opinion-transformation-digitale-quels-nouveaux-risques-pour-la-fonction-rh-1003115. [8] Articles L4121-1 et L4121-2 du code du Travail. [9] Cf. faceaurisque.com/2020/06/04/teletravail-et-harcelement-managerial-une-situation-dangereuse. [10] « Les RH au quotidien »,  13 avril 2021. [11] Cf. focusrh.com/carriere-rh/emploi-et-remuneration-des-rh/professionnels-rh-ils-font-le-job-mais-sont-epuises-33787.html. [12] eyrolles.com/Entreprise/Livre/trajectoire-de-crises-9782822407007.