Dans le premier tome l’auteur analyse d’un point de vue historique la lente évolution du capitalisme. On voit le marché prendre de plus en plus d’importance jusqu’à devenir un système auto-régulé dont le contrôle échappe totalement aux Etats. A la logique interétatique se substitue une logique de réseaux transnationaux.

Contrairement aux théories d’Adam Smith, le marché ne découle pas de la division internationale du travail mais du commerce au loin dont sont issus les profits les plus considérables. Mais cette intrusion du marché et de l’esprit capitaliste a été lente car on trouvait dans la plupart des civilisations une aversion marquée pour les actes ouvertement fondés sur l’intérêt.

Le second tome comporte de longs développements sur la situation des pays en voie de développement (PVD) avec la montée en puissance des sociétés est-asiatiques. La capacité de ces sociétés à internaliser la dynamique de la croissance capitaliste doit beaucoup à un système éducatif de masse, à la capacité d’organisation économique de l’Etat et à un taux d’épargne important des ménages. Ces économies dynamiques attirent les investissements des firmes multinationales qui, par contre, négligent totalement les pays en difficulté (pays arabes, Afrique sub-saharienne).

On assiste rapidement à une modification de la répartition du PIB dans le monde entre Nord et Sud. Le PIB par habitant dans le Sud-Est asiatique croît trois fois plus vite que celui des pays industrialisés depuis le début des années 1980. L’industrialisation de ce qui fut longtemps convenu d’appeler le tiers-monde s’accompagne ainsi, d'après l'auteur, d’une tiers-mondialisation de l’Occident avec l’inquiétante montée du chômage en Europe occidentale et le développement d’une pauvreté de masse des deux côtés de l’Atlantique.

«Partout dans le monde industrialisé, la crise de l’Etat-providence rappelle douloureusement cette vérité oubliée que l’exceptionnelle capacité du capitalisme à stimuler l’accumulation des richesses n’a aucun rapport logique avec sa capacité à offrir à chacun un emploi et des conditions de vie décentes. Les acquis sociaux des sociétés industrielles au XXe siècle n’ont jamais été, de ce point de vue, des avancées spontanées du capitalisme, mais le produit de luttes sociales et de leurs répercussions politiques et idéologiques sur les appareils d’Etat».

Et les problèmes risquent encore de s’aggraver à l’avenir. Il faut savoir que l’offre de travail en provenance du Sud est presque infiniment élastique, prête à s’employer à n’importe quelles conditions. Dans les PVD le salaire ne rencontre aucun plancher objectif car il peut être inférieur au coût monétaire de reproduction de la force de travail si celui-ci est assuré en dehors du cadre de l’économie monétaire. Le travail des enfants s’accroît également de façon spectaculaire. Selon l’UNICEF, entre 100 et 200 millions d’enfants de moins de quinze ans travaillaient dans le monde au début des années quatre-vingt-dix contre 50 millions dix ans plus tôt. Dans certains pays asiatiques, plus de 10% de la main-d’œuvre est composée d’enfants de moins de quinze ans.

Alors, face à cela, que faire? L’auteur déplore la passivité des Etats et l’absence ou la faiblesse des instances de régulation supranationales. Il faudrait substituer une logique de coopération à une logique de confrontation, ce qui nécessite une intégration des nations à un niveau régional. L’Europe est citée en exemple car elle constitue un espace largement autocentré, autrement dit susceptible d’être régulé de façon autonome.

Des mesures ponctuelles pourraient être prises comme celle consistant à exiger des firmes multinationales qu’elles respectent dans leurs activités à l’étranger les normes de sécurité, d’environnement et d’emploi en vigueur dans leurs pays d’origine. On pourrait aussi réintroduire certains contrôles sur les mouvements de capitaux de façon à pénaliser les actions purement spéculatives (par exemple en imposant une taxe de 0,5% sur toutes transactions de change).

En bref, l’avenir semble sombre mais nous laisserons-nous encore longtemps gouverner par les forces du marché en attendant l’explosion sociale?