Nous sommes témoins de changements rapides dans nos modes de vie et dans la manière dont nous abordons le temps de travail au quotidien. En même temps, la question n’en finit pas de revenir. Le temps de travail aujourd’hui évolue vers des modèles plus flexibles et équilibrés. Toutefois, pour que ces changements bénéficient à chacun, nous devons continuer à questionner et à adapter nos pratiques.

L’importance croissante accordée à l’équilibre entre le travail et la vie personnelle témoigne d’un changement culturel. Nous réalisons de plus en plus que la productivité ne dépend pas uniquement du nombre d’heures passées au travail, mais aussi de la qualité de ces heures. Prendre soin de notre bien-être mental et physique devient une priorité, non seulement pour notre propre épanouissement, mais aussi pour une performance professionnelle durable.

Pourtant, dans la contractualisation entre employeurs et salariés, quel que soit le secteur, public ou privé, le temps de travail continue à borner en principe la période durant laquelle l’employeur peut exercer son emprise sur le salarié et ce temps de travail reste également un moyen d’évaluer sa prestation et donc sa rémunération. Or nous constatons chaque jour que le binôme temps/lien de subordination n’a plus de limite. C’est le paradoxe : le temps de travail serait devenu la seule chose qu’on ne sait pas compter alors qu’on demande aux encadrants de comptabiliser le temps de production à travers tous les outils de reporting.

La question du temps, on l’a d’abord traitée à grande échelle, en essayant de trouver une juste mesure entre l’activité et la non-activité, dans une société minée par le sous-emploi et atteinte par le choc démographique : ce furent les 35 heures, puis les réformes des retraites et les plans seniors. L’aménagement-réduction du temps de travail tente de restaurer un équilibre entre un monde du travail sous pression et des mondes de l’inactivité dont le coût pèse lourd sur les épaules des salariés et agents publics. Partager le travail, ce n’est pas seulement la vision caricaturale donnée par ses opposants qui ne voient que la solution hebdomadaire, il s’agit de travailler sur tous les temps en même temps : la journée de travail, l’intensif emploi du temps hebdomadaire, comme la répartition de l’activité dans la vie.

L’autre révolution qui nous demande de l’intelligence collective est l’accélération exponentielle des avancées technologiques. Il a été créé en quelques années un monde où le travail peut être effectué presque n’importe où et à n’importe quel moment. Cela a ouvert des portes à la flexibilité, permettant à de nombreux professionnels de personnaliser leurs horaires en fonction de leurs besoins personnels. Cependant, cette même flexibilité peut également conduire à une difficulté à délimiter clairement les heures de travail et les heures de repos. Cela a également ouvert des portes de transformation trop rapide de nombreux métiers, rôles et activités : dans la transition numérique, l’intelligence artificielle transforme la relation de service.

Nous sommes entrés dans l’ère du travail à distance : des autres, de l’usager, du client, de la hiérarchie. Un défi pour celles et ceux qui ont à manager le travail réel et prévenir les risques psychosociaux. Il est de notre responsabilité de première organisation syndicale cadre de définir des limites à la connexion et à l’intelligence artificielle. Il est de notre responsabilité de travailler à l’articulation de tous les temps. Des journées plus courtes ou plus longues ? Des semaines resserrées ou étalées ? Où placer les temps de récupération ? Combien de temps cotiser dans la vie ? Comment avoir des droits pour s’occuper de soi et de ses proches ?

La CFDT Cadres a pris sa place dans ce grand débat syndical et sociétal. Son rôle est celui d’observer pour le compte de toutes les organisations CFDT les mutations du travail, et de protéger celles et ceux qui à la fois les subissent et les régulent, dans l’intérêt des autres travailleurs. Dans les années 1970, l’UCC (Union confédérale des cadres) demande pour les non-cadres les 35 heures pour créer des emplois et réduire la pénibilité. Dès les années 1980, avec les débuts de l’informatisation, elle identifie le télétravail comme nouvelle forme d’activité. En 1990, elle peaufine une expertise sur la notion de charge de travail et revendique de réduire à deux cents jours par an le travail des cadres. Ainsi invente-t-elle le forfait jours pour annualiser le temps et garantir du repos à celles et ceux qui managent les entreprises et les services publics. Cela ne suffit pas et la gabegie numérique appelle à la création d’un droit à la déconnexion que la CFDT Cadres poussera avec d’autres. Aujourd’hui, telle la semaine de quatre jours, elle rappelle qu’il n’y a pas de slogans miracles à imposer uniformément.

Il faut donner des marges de manœuvre aux acteurs, militants et managers, pour définir au mieux les temps du travail en proximité et selon les métiers. C’était déjà le sens des 35 heures qui se sont jouées dans la qualité des négociations sur l’organisation du travail : identifier les temps qui comptent, ceux qui permettent de bâtir les collectifs, de résoudre les problèmes et de répartir la charge ; ceux qui permettent de consolider son parcours professionnel et qui aident à se situer ; ceux enfin qui permettent de se maintenir en bonne santé. Cette valse des 3 temps est le grand enjeu de ce monde professionnel en pleine transformation.