Les politiques des temps de la ville ont émergé en Italie voici une quinzaine d’années à la demande des mouvements de femmes, appuyés par les organisations syndicales, dans un contexte d’arrivée des femmes sur le marché du travail et de désorganisation des services publics. Elles ont ensuite été généralisées par les politiques dans le cadre d’une loi en 2000 imposant à chaque ville de plus de 30000 habitants la création d’un bureau des temps. Les auteurs constatent que leur diffusion en Europe, et notamment récemment en France (les villes pionnières étant Poitiers, Saint-Denis et Belfort), montre qu’elles apportent une réponse plus large aux mutations des temps sociaux et de la ville.

Parmi les mutations des temps sociaux, on citera le temps de travail qui tend à se réduire, à se flexibiliser et à s’individualiser à la faveur des actions syndicales et politiques (rôle important des 35 heures en France), des mutations du travail (économie de l’information et des services) et de la société (femmes conciliant pour la plupart vie professionnelle et vie familiale, individualisme accru…). Les mutations économiques et sociales affectent de même les temps de formation, de transport, de loisirs et la vie en famille…. L’ usine n’est plus le maître des horloges et on assiste à une désynchronisation des différents temps sociaux, des difficultés importantes de gestion du temps et d’accès aux services pour certaines catégories de population, mais aussi des conflits d’intérêts entre catégories de population. Un sondage récent réalisé auprès des Français et publié dans le rapport Hervé en 2001 sur le temps des villes indiquait ainsi trois publics principaux : les femmes avec enfants jonglant entre activités professionnelles et domestiques ; les diplômés du supérieur, et notamment les cadres, gros consommateurs de services et souhaitant une ville ouverte 24 heures sur 24 ; les personnes avec peu de ressources, habitant souvent dans des quartiers excentrés, distants des services offerts dans la ville.

De son côté, la ville est confrontée à un décentrage (multi-centres, croissance des banlieues et du péri-urbain...), à une mobilité accrue des habitants (éloignement domicile/travail, tourisme…) et à l’aspiration des citoyens à une autre relation avec les institutions et les élus.

L’objectif des politiques temporelles mises en œuvre dans les différents pays est donc d’améliorer la qualité de vie en développant les processus démocratiques. Il ne s’agit pas seulement d’un changement des horaires des activités économiques et des services ; on voit aussi le développement de nouveaux services, parfois la modification des conditions d’emploi et des qualifications. Se mettent aussi en œuvre de nouveaux processus de concertation entre les institutions d’une part, et les acteurs sociaux et les citoyens d’autre part (on citera notamment les tables de concertation triangulaires à l’italienne associant collectivités locales, entreprises, organisations syndicales et associations). Cette négociation sociétale sur les territoires permet notamment de régler les conflits entre salariés usagers et salariés personnels des services.

Toutes ces réflexions sont développées par les auteurs en deux parties : la première décrit les conditions d’émergence de la problématique des temps de la ville en France ; la deuxième analyse trente expériences de mise en œuvre de politiques temporelles dans cinq pays européens.

Jean-Yves Boulin et Ulrich Mückenberger explicitent en conclusion le titre de leur ouvrage : l’enjeu est de préserver, en le réinventant, le modèle européen de la ville qui associait l’ensemble des activités humaines à une régulation démocratique.