Il peut paraître exigeant de lire 96 pages dans un quotidien alimenté de tweets et de design motion qui saturent l’attention, mais la revue Cadres, qui propose de « lire le travail » est, je crois, l’outil militant de base : travailleur et représentant se font leur propre idée sur le thème du trimestre. Au fil de la collection, il y des éléments de langage qui apparaissent, une culture critique qui se forme et l’on se sent soutenu pour comprendre l’environnement du travail. Ce n’est pas une information digérée mais quelque chose à aborder avec la liberté du lecteur. Côté plume, il est demandé aux acteurs de coucher sur le papier une expression, une réflexion, une doctrine. Eux aussi sont dans l’effort.

La revue Cadres est aussi un objet commun aux adhérents CFDT financé par leur cotisation, l’abonnement se faisant en ligne sur larevuecadres.fr. Elle est envoyée systématiquement aux nouveaux, comme signe d’attention à leur engagement. Il s’agit pour la CFDT Cadres de donner à lire ce qui arrive dans le quotidien professionnel : manager une équipe, prévenir les risques, identifier les temporalités, valoriser les métiers, débattre de l’activité, penser les lieux, maîtriser le numérique, autoriser des marges de manœuvre...

Tout le monde est concerné. Adhérents et sympathisants y trouvent la preuve d’un syndicalisme qui prend les sujets de front. Militants et responsables syndicaux y puisent de quoi se frotter aux modèles et aux employeurs. Et la revue dessine également les identités des salariés et agents cadres, c’est-à-dire celles et ceux qui, dans les organisations, prennent un peu plus de risques et de responsabilités pour précisément les faire fonctionner.

Près de 80 ans après sa création[1], la revue identifie au fil des numéros la complexité des enjeux professionnels, le poids de l’engagement au travail, les tensions des organisations. « Faire revue » est donc indispensable dans l’esprit d’un syndicalisme fondé sur l’expertise et l’élaboration de propositions, se démarquant du contestataire : mieux comprendre pour mieux revendiquer et obtenir des nouveaux droits, c’est ce que je souhaite au lecteur en tant que directeur de cette publication et secrétaire général de la CFDT Cadres.

[1]-En mai 1946 paraît le premier numéro de Cadres et Profession, le journal de la Fédération française des ingénieurs et cadres de la CFTC (FFSIC) qui se donne pour but de « servir les cadres en affirmant leur doctrine sur un plan strictement professionnel ». Les rédacteurs du journal aspirent à faire de celui-ci un organe de liaison entre tous les ingénieurs et les cadres du commerce et de l’industrie, afin de les aider à évoluer dans leur carrière et à affronter les évolutions du monde du travail. Dans le même temps, il s’agit de diffuser un discours non seulement propre aux cadres de la FFSIC – fondée en novembre 1944 –, mais également élaboré par eux, pour répondre au discours porté sur eux dans la grande presse. Il s’agit donc de définir un ensemble de positions syndicales mais également d’affirmer une identité propre, alors que la CGT a créé un Cartel confédéral des cadres et que différentes organisations de cadres ont fusionné pour former la Confédération générale des cadres. Bien plus, il s’agit de revendiquer un pouvoir dans le fonctionnement de l’économie : « il faut agir en sorte que leur technique représente une valeur ou plus exactement une part dans la production » écrit Guy Bohn, secrétaire général de la Fédération, dans le premier numéro. La revue s’affirme ainsi à la fois comme un organe d’information syndicale, qui se fait l’écho des revendications fédérales, et un laboratoire de réflexion, qui dessine un syndicalisme singulier.