En tant que responsable de la CFDT Cadres, je suis la seule syndicaliste à avoir participé à la Commission de l’intelligence artificielle dont le rapport « IA : notre ambition pour la France » (mars 2024) préconise « 25 recommandations pour que la France puisse tirer parti de la révolution technologique de l’IA ». C’est assez rare pour le souligner, ayant porté un certain nombre des propositions dont une partie a été intégrée.

Les impacts dans le monde du travail des précédentes vagues numériques, des IA et des IA génératives sont déjà profonds en termes d’emploi, de transformation des métiers et des compétences, de qualité du travail, d’organisation du travail. Mais force est de constater que les travailleurs et leurs représentants sont peu associés aux choix technologiques et organisationnels dans les lieux de travail.

Toutes les remontées de nos militants CFDT l’indiquent : il y a aujourd’hui une absence de dialogue social mais également de respect des prérogatives des instances représentatives du personnel lorsqu’on déploie des systèmes IA de prévision, de décision (reconnaissance vocale, robotique industrielle, conduite automatisée, détection de pathologies, assistants commerciaux virtuels, reconnaissance faciale, identification d’anomalies financières, etc.). Ce sont des enjeux de management et non de simples outils, les cadres sont donc en première ligne sur leur déploiement.

Les impacts sur l’évolution des métiers et le volume d’emploi ne sont pas ou mal évalués. À l’heure où le corps social demande du sens au travail, nous déplorons le manque d’échanges sur les impacts de l’IA sur l’organisation et l’activité. Sans vouloir faire des prophéties sur l’emploi, les effets restent incertains, les nombreux rapports qui font état d’impacts sur les emplois sont divergents. Une certitude toutefois : tous les emplois, des moins qualifiés aux plus qualifiés, sont concernés. Les cadres et les managers sont concernés à double titre : en tant que managers de ces transformations et en tant que travailleurs soumis à leurs conséquences.

Un défi supplémentaire : la polarisation des compétences et l’amplification de la fracture numérique. Il y a en effet un risque d’accroissement des inégalités au travail entre ceux qui savent utiliser les outils d’IA et d’IA générative et ceux qui ne sont pas ou insuffisamment formés.

Un défi d’égalité, les femmes sont à la fois sous-représentées dans la filière du numérique et surreprésentées dans les métiers susceptibles d’être affectés par l’automatisation des tâches (secrétariat, recherche documentaire, comptabilité, etc.).

Accroître les formations de type IA et biologie ou économie pour fournir des compétences IA aux femmes qui choisissent d’autres spécialités que celles informatiques, inviter les entreprises à recruter, former et garder les femmes dans les métiers du numérique, par exemple avec des incitations pour le management et des indicateurs qui mesurent cette progression, ce sont des exemples de mesures souhaitables (et pratiquées d’ores et déjà dans certaines entreprises).

Pour les emplois occupés majoritairement par les femmes et exposés largement à l’automatisation (donc voués à la disparition), il est nécessaire d’anticiper et d’accompagner par des plans massifs de formations.

En termes de conditions de travail, les outils numériques transforment l’activité. Ils peuvent améliorer les conditions de travail mais présentent aussi des risques de diverses natures. Les managers intègrent par exemple des outils d’aide à la décision qui transforment la relation avec leurs collaborateurs et peuvent conduire à un sentiment de perte d’autonomie dans leurs pratiques. Si la prise en charge d’une partie de l’activité par des robots ou des chatbots permet d’alléger des contraintes, leurs réponses parfois inadaptées aux usagers ou clients nuisent à la qualité client et au sens du travail. Les processus de production se transforment et font évoluer le profil des travailleurs (par exemple des gérants d’hôtels expérimentés qui n’ont plus la main sur la gestion des réservations et sont remplacés par des juniors). Des risques d’intensification du travail émergent, avec la mise en place d’outils de surveillance ou l’instantanéité des avis ou sollicitations des clients, collègues ou supérieurs dans le quotidien, dans un contexte où les frontières entre vies professionnelle et personnelle se brouillent. De manière générale, les systèmes automatisés fonctionnent à partir de données qui ne reflètent pas toute la complexité, les nuances et les variabilités du monde réel qui fondent le sens du travail.

La CFDT Cadres revendique un dialogue social exemplaire, afin de faire de l’IA un objet débattu et co-construit. Certains systèmes tels que la surveillance et l’évaluation de la performance ne peuvent absolument pas être mis en place sans une solide information et consultation des instances représentatives du personnel.