Quel salarié n'a pas entendu ces dernières années les discours patronaux sur l'esprit d'entreprise, la culture d'entreprise... des mots qui peuvent en cacher d'autres !

Il est moins fréquent d'entendre parler d'esprit d'innovation, de culture entrepreneuriale. Certains diront même que la France n'est pas ou n'est plus un pays d'entrepreneurs. A l'analyse des budgets d'investissements, de recherche et développement dans bien des sociétés, nous serions en effet tentés de conclure que la rentabilité à court terme, la profitabilité immédiate ont pris le pas sur la rentabilité à moyen et long terme, la pérennité de l'activité.

Un pari sur l'avenir

Réinvestir dans l'appareil de production, investir en recherche et développement pour conquérir de nouveaux marchés, créer de nouveaux produits et services, c'est toujours faire un pari sur l'avenir, quand bien même le promoteur du projet s'efforce de maîtriser au mieux les risques de toute nature, de justifier le retour sur investissement auprès des décideurs. L'investissement immatériel souffre encore d'un grave problème de reconnaissance.

Pourtant, les chiffres sont là : les entreprises performantes, en forte croissance sont majoritairement celles qui ont fait ces choix de l'innovation, de l'investissement en recherche et développement. Développement, croissance, embauche, insertion de jeunes diplômés, capitalisation de connaissances... et c'est souvent l'emploi qui gagne.

Certes, les experts sont unanimes pour reconnaître aujourd'hui que la seule croissance ne permettra pas de résorber totalement le fléau du chômage (dans le cadre de la mise en place de la loi Aubry, nous avons souvent entendu ce discours !). Elle reste un levier important de la lutte contre le chômage, encore faut-il se donner les moyens de celle-ci : l'innovation technologique, la mise au point de nouveaux procédés, de nouveaux produits, le réinvestissement permanent dans l'appareil de production constituent les leviers essentiels de cette croissance et impactent directement l'emploi.

Dans le champ de l'action syndicale

En qualité d'organisation syndicale ayant fait de l'emploi et de la lutte contre le chômage notre priorité, nous ne pouvons nous désintéresser de ces différents points. Certes, lorsqu'une entreprise va mal, le réflexe sera surtout défensif ; l'intervention syndicale s'efforcera de limiter la « casse », les réductions d'effectifs. Difficile dans ce contexte de parler de nouveaux marchés, nouveaux produits, même si la survie de l'entreprise peut passer par des mesures en ce sens. C'est bien lorsque l'entreprise va bien ou du moins en dehors de période de crise que ces questions de l'innovation, de l'investissement en recherche et développement, en améliorant la qualité, prennent toute leur dimension : préparer l'avenir, assurer la pérennité de l'activité et donc l'emploi.

Au moment de repenser l'organisation du travail, les processus dans l'entreprise, dans le cadre des négociations sur la RTT, il est opportun de reposer ces questions du développement des compétences, de l'organisation apprenante, de la diffusion des savoirs et des connaissances, de la formation tout au long de la vie professionnelle, de l'insertion des jeunes diplômés, de l'intégration de nouvelles compétences, de l'innovation technologique, de la recherche et développement, de la veille technologique.

L'entreprise, l'université et la région

Innover, rechercher, développer, tout cela suppose une volonté stratégique, une organisation, des moyens en partenariat éventuel avec d'autres entreprises, une université ou une grande école. Le cas d'entreprise ci-après illustre bien en quoi la réunion de ces différents critères peut être facteur de croissance et de création d'emplois.

Cette PME, société de services en informatique de gestion, spécialisée dans l'analyse et la transformation de logiciels, anticipe dès 1995 les difficultés potentielles liées au passage de l'an 2000 pour les applications informatiques. Elle décide d'investir lourdement dans les outils d'analyse d'impacts de ce changement de millénaire et de transformation des applications concernées afin d'offrir à ses clients et futurs clients une solution fiable et industrielle leur permettant de passer ce « cap » dans de bonnes conditions, en limitant leur coût et délai de réalisation de cette opération et en sécurisant celle-ci. Un programme de recherche est lancé en lien avec l'université et avec le soutien financier de la région. A partir de 1997, l'investissement commence à porter ses fruits et l'offre de services et d'outils proposés répond bien aux besoins exprimés. La signature des premiers contrats nécessite de renforcer les effectifs, en insérant le plus souvent de jeunes ingénieurs de l'université ayant participé au projet ou réalisé un stage dans l'entreprise dans le cadre de projet. Les clients, bénéficiaires des prestations et utilisateurs des outils ainsi réalisés reconnaissent l'avance technologique de la solution proposée et n'hésitent pas à le dire, le faire savoir. L'entreprise est ainsi passée en cinq ans de six personnes à trente-sept personnes et recrutera encore sept à huit personnes en 1998. Certes, les SSII bénéficient en ce moment d'un contexte très favorable, mais cet exemple met bien en évidence en quoi l'innovation technologique permet de se différencier et de gagner des parts de marché. Sans cet investissement, la croissance n'aurait pas été la même, l'offre de services beaucoup plus banalisée et donc moins porteuse de développement.

Un capital immatériel

Au-delà du succès commercial, d'autres points positifs méritent d'être soulignés :

  • la diffusion et l'apport de nouvelles connaissances grâce au partenariat universitaire et à l'insertion de jeunes diplômés, le respect de l'état de l'art dans certains domaines techniques ont fait progresser les compétences internes, développé les qualifications, favorisé les partages des savoirs, des expériences et ainsi contribué à améliorer la performance collective de l'entreprise. Difficile de chiffrer la valeur ainsi ajoutée, le capital immatériel sur lequel le collectif des salariés peut désormais s'appuyer,
  • les outils ainsi mis au point dépassent largement le contexte du passage à l'an 2000 et peuvent être utilisés à toutes fins de maintenance, de rajeunissement d'applications informatiques,
  • la complémentarité des rôles entre un industriel et l'université et la reconnaissance permanente de celle-ci par les acteurs a permis de progresser rapidement,
  • la prise de conscience collective des effets induits par l'avance technologique sur la progression des affaires incite l'ensemble des équipes à continuer à investir. Ce qui est vrai aujourd'hui ne le sera peut-être plus dans quelques mois : l'effort de recherche et développement doit être durable. Il se poursuivra en lien avec d'autres partenaires universitaires et une grande école d'ingénieurs de la région.

Recherche et développement, innovation technologique et mise en œuvre de projets industriels permettant de valoriser et concrétiser ces travaux, sans doute y a-t-il là également des clés de l'emploi gagnant.