Ce livre est présenté sous forme de débats où les coauteurs 1 n'ont pas toujours le même avis sur les sujets traités mais au-delà de leurs différences un objectif commun les anime : « nous avons acquis trois certitudes afin d'avancer vers notre objectif commun, une société moins inégalitaire, moins excluante : la nécessité d'une réduction du temps de travail importante et rapide etc., l'utilité de valoriser et développer les activités organisées selon une logique ne relevant ni du marché ni de l'Etat etc., la légitimité à court terme, d'une forme de revenu minimum plus généreuse que l'actuel RMI ».

Qu'entendent-ils par économie plurielle ? En réaction forte contre la pensée libérale qui réduit la société à l'économie et l'économie à l'économie marchande, ils affirment que l'économie se compose de plusieurs pôles : en plus du marché et de l'économie publique elle comprend aussi l'économie domestique (oubliée dans les statistiques officielles) et la sphère des échanges réciproques que certains appellent secteur quaternaire, d'autres économie solidaire ou associative.

Leur position part d'un constat radical : « les technologies informationnelles apportent des gains de productivité d'une nature et d'une ampleur inconnue jusqu'alors, réduisant toujours plus la quantité de travail nécessaire à la production des richesses ».

Quelques chiffres édifiants nous sont présentés. Ainsi, si l'on tient compte de toutes les situations de précarité et de personnes sous-employées, ce n'est pas trois, quatre millions d'emplois qu'il faut créer mais sept ou huit ! On savait déjà que la croissance, seule, ne résoudra pas le problème du chômage car avec un taux de 3,5 à 4,5 % on arriverait seulement à le stabiliser.

Tous les pays sont touchés, contrairement à ce qu'on tente de nous faire croire. Le taux de chômage anglais est très nettement sous-évalué et aux Etats-Unis, à modes de calculs identiques, il s'établirait aux alentours de 10 % en 1996 au lieu des 5,2 % officiels (et celui du Japon à 10 % aussi au lieu des 2,7 % annoncés).

Pourtant, entre 1960 et 1990, la production mondiale par habitant a été multipliée par 2,5 en défit de la croissance démographique.

Encore quelques chiffres édifiants : aux Etats-Unis on compte cinquante millions de pauvres pour deux cent quarante millions d'habitants, 15 % des salaires sont inférieurs au seuil légal de pauvreté et la moitié de la population active a vu son pouvoir d'achat baisser tout au long des vingt dernières années.

L'économie capitaliste de marché apparaît donc incapable de maîtriser la régulation de la société et les mutations en cours, d'où les trois propositions de nos auteurs pour aller vers une société moins inégalitaire.

La réduction du temps de travail à 35 heures, avec compensation venant de la collectivité et modération salariale, peut créer un million d'emplois. Mais la réduction de la durée du travail devrait prendre des formes variées (année sabbatique, préretraite, etc.) et devra sans doute intégrer les besoins en flexibilité des entreprises (qui pourrait être négociée contre la suppression des CDD).

La deuxième proposition concerne la création d'un Tiers secteur d'utilité économique et sociale (ou économie solidaire), essentiellement basé sur les services à la personne. Il permettra de répondre à des besoins non satisfaits et créer du lien social.

Enfin la troisième proposition concerne le revenu minimum : accordé sous conditions de ressources, mais irrévocable - c'est-à-dire inconditionnel en son principe - et cumulable de plein droit avec d'autres ressources, quitte à ce que ces dernières soient imposées.

On peut déjà trouver des secteurs où le revenu social garanti pourrait être testé : jeunes en formation, artistes, agriculteurs engagés dans la production biologique ou l'entretien des paysages ruraux.

L'ensemble de ces trois démarches coûterait entre cent et deux cents milliards. Or le coût direct du chômage est de l'ordre de cent cinquante à deux cents milliards, auquel s'ajoute un ensemble de dépenses (préretraites, etc.) qui doublent à peu près ce volume.

Toutes ces propositions demandent beaucoup de réflexions pour être mises en œuvre avec efficacité. Il faudra faire preuve d'imagination. On sent, au travers de ce débat, que si toutes les précautions ne sont pas prises pour la réorganisation de la société, on peut aller à l'échec.

1 : Membres du collectif Appel européen pour une citoyenneté et une économie plurielle.