Tout salarié qui travaille aujourd’hui chez Accenture doit se familiariser avec un nombre croissant d’outils mis à sa disposition pour simplement communiquer : Office Communicator, Roundtable, Téléprésence. En quelques années, notre paysage technologique s’est considérablement modifié au point de transformer en profondeur nos conditions de travail.

Mais quoi de plus naturel pour une entreprise que de pouvoir profiter de ces nouveaux moyens quand on revendique l’image d’une société en pointe sur les nouveaux modes d’organisation ?

Les nouveaux outils bouleversent les conditions de travail

A l’origine entreprise de conseil, aujourd’hui véritable société des services en ingénierie informatique, Accenture compte 246 000 salariés dans le monde et 5000 en France, principalement des consultants. Ses activités sont le conseil en stratégie et organisation, en technologies et intégration de systèmes et en externalisations.

Appelé à intervenir chez les clients, le consultant est, par définition, nomade et n’a donc pas de place réservée au siège de l’entreprise quand il s’y trouve. C’est d’ailleurs le cas également pour les « sédentaires » qui doivent souvent, au sein d’un même service, se partager des bureaux de six places sans avoir de place prédéfinie.

Peu à peu, le consultant a reçu un certain nombre d’outils lui permettant de rester en contact avec l’entreprise et le client où qu’il se trouve : ce fut l’arrivée des premiers ordinateurs « portables » (ils pesaient quand même un certain poids !) puis des téléphones - pas encore smart - mais qui permettaient d’être joignable à toute heure du jour et de la nuit.

Au nomadisme des salariés s’est ajoutée une nouvelle contrainte au cours des années 2000 : la réduction des dépenses. Et se déplacer coûte cher. S’il est parfois difficile de réduire les dépenses pour les consultants – on peut au mieux rogner sur le nombre d’étoiles de l’hôtel ou la classe de l’avion -, il s’agit de supprimer au maximum les déplacements des autres : responsable d’équipe sur plusieurs pays ou salariés habitués à intervenir sur plusieurs établissements en France. Tout cela n’aurait bien évidemment pas pu se faire sans l’émergence des nouvelles technologies et plus particulièrement des outils permettant la téléconférence.

En 2008, Accenture est une des premières sociétés en France à se doter de l’outil Téléprésence1 permettant de mener virtuellement des réunions en donnant l’impression à chacun d’être dans la même salle que ses interlocuteurs. Le directeur général France, dans son mail de lancement du nouvel outil, déclarait « La Téléprésence […] permet aux collaborateurs Accenture de gagner du temps, d’améliorer l’équilibre vie professionnelle/vie privée, une meilleure collaboration entre les équipes au niveau mondial et de réduire nos coûts de transport. Imaginez tout le temps que vous gagnerez en allant simplement au bureau pour rencontrer virtuellement vos collègues et/ou vos clients basés à l’étranger - la Téléprésence c’est bientôt treize sites dans le monde - au lieu d’effectuer de longs voyages en avion ! »

Réduction des coûts, télétravail et nouvelles technologies

C’est encore la réduction des dépenses qui va précipiter les choses en 2009. Le bail du siège social d’Accenture situé dans le 13ème arrondissement de Paris arrive à son terme et les loyers ont considérablement augmenté depuis l’arrivée de la société en 2000 : il faut sans doute songer à déménager en banlieue. Le site retenu est loin du lieu d’habitation de la majorité des salariés et mal desservi par les transports.

Après une mobilisation sans précédent de l’équipe CFDT Accenture, la direction décide finalement de rester dans le 13ème… en réduisant les espaces. Mais comment garder au siège le même nombre de personnes avec un étage en moins sur les cinq occupés initialement? La réponse ne se fait pas attendre puisqu’Accenture, jusqu’ici réticente à développer le télétravail, propose aux organisations syndicales de négocier sur ce thème.

A l’époque, les salariés pouvaient déjà bénéficier du télétravail puisqu’il existait une policy2 47 – article 4 où l’on peut lire « Le travail à domicile est une possibilité offerte à l’ensemble des collaborateurs, à l’exception de ceux dont la fonction ne le permet pas […] Le travail à domicile nécessite l’approbation du supérieur hiérarchique […]qui décide si les coûts pour l’installation (par exemple ADSL ou deuxième ligne téléphonique) et les frais de communication seront supportés par la Société. […]. Le travail à domicile est limité à un maximum de deux jours par semaine […]. Les participants devront signer un avenant à leur contrat de travail, stipulant les conditions du travail à domicile.» Négocier un accord permettait de favoriser son développement, de mieux l’encadrer et de pallier des manques de la policy comme le remboursement de certains frais pour tous, par exemple.

Est-ce parce qu’Accenture avait besoin de pouvoir rendre disponibles ses salariés où qu’ils se trouvent que les nouvelles technologies sont arrivées dans l’entreprise, ou parce que celles-ci ont autorisé de nouvelles formes de travail permettant à l’entreprise américaine de réduire ses coûts? Si nous nous sommes souvent posés ces questions au début, force est de constater que la réponse a peu d’intérêt. Toujours est-il que les technologies sont aujourd’hui partie intégrante des nouveaux modes d’organisation. Nous pouvons d’ailleurs lire dans le préambule de l’accord télétravail « […] Accenture a toujours su innover et promouvoir les technologies de l’information et de la communication (TIC) pouvant faciliter et améliorer la communication entre ses collaborateurs. Le présent accord s’inscrit de facto dans ce même mouvement. C’est ainsi qu’à travers la volonté de trouver un équilibre entre les nécessités de l’entreprise et les rythmes personnels de ses collaborateurs, et prenant en compte l’évolution des TIC facilitant aujourd’hui le développement de cette activité et son organisation, les parties ont souhaité développer cette forme de travail innovant. »

Office Communicator et Téléprésence

Parmi ces nouvelles technologies, Office Communicator a permis de rendre possible ce changement : cet outil développé par Microsoft est à la fois un outil de messagerie instantanée, un système de téléphonie (comme Skype) et un moyen d’animer des télé- et visioconférences : je peux donc organiser une visioconférence avec un Américain, « chatter » avec mon collègue à Toulouse et téléphoner à la nounou pour la prévenir de mon retard avec le même outil. Les salariés ont donc tous une ligne fixe… mais qu’ils gèrent depuis leur ordinateur où qu’ils se trouvent.

Office Communicator est considéré comme l’outil de référence permettant de faire du télétravail. Le salarié doit toujours y être connecté et répondre dans un délai défini : « Compte tenu de la nécessité de pouvoir joindre ses collaborateurs en disponibilités et tout particulièrement ceux étant en jour de télétravail à domicile, le collaborateur devra être en mesure de répondre dans un délai de 45 minutes et dans le cadre de ses plages habituelles de travail, à un message téléphonique, par courriel ou par « Office Communicator » auquel il devra être obligatoirement connecté. »3

En tant qu’organisation syndicale, nous bénéficions de toutes ces nouvelles technologies et nos problématiques ne sont guère différentes de celles du consultant sur projet.

Il nous arrive par exemple d’organiser des réunions en Téléprésence avec nos élus du bureau de Sophia-Antipolis. Nous avons pu constater que la conférence « de visu » évite les écueils de la réunion téléphonique où tout le monde parle parfois en même temps et où certains sont tentés de faire autre chose. Nous organisons aussi des réunions téléphoniques d’information avec nos adhérents, qui ne sont pas au siège, pour les tenir informés. La possibilité de télétravailler nous évite aussi de repasser au siège quand nous avons enchaîné les réunions à l’extérieur, ou de pouvoir nous concentrer chez nous sur un dossier important alors qu’il est plus difficile de le faire au local syndical qui est d’abord un lieu de rencontre et d’échanges avec nos salariés.

Réguler l’usage des nouvelles technologies

Cependant, tous les bénéfices retirés de ces nouvelles technologies ne doivent pas nous faire oublier que chacun a besoin d’être formé pour les utiliser. J’entends ici non pas seulement une formation technique à l’utilisation des outils mais aussi une formation à la « saine » utilisation.

Car, si nous avons certes réduit nos déplacements et gardé un lien avec nos collègues éloignés, rien ne remplace la conférence physique pour faciliter les échanges et le travail. Le risque est de développer aussi les réunions virtuelles avec des collaborateurs pourtant proches. Il faut alors se faire violence pour venir au siège et maintenir un contact nécessaire avec ses collègues pour éviter l’isolement chez soi ou même chez le client. La visioconférence peut ainsi diminuer l’effort de chacun pour se rencontrer : même si le désir de se retrouver est toujours aussi fort, nous constatons que de nombreux collègues désertent les salles de réunion quand il est possible de suivre les échanges par téléphone ou visioconférence.

Le télétravail a offert à chacun plus de flexibilité mais a aussi vu les amplitudes horaires de travail des bénéficiaires augmentées. Cette flexibilité est particulièrement difficile à vivre pour certains salariés qui, chez Accenture, travaillent avec des collègues basés à l’étranger sur des fuseaux horaires différents. Rassembler les Français, les Américains et les Japonais relève bien souvent du casse-tête sur la journée et il n’est pas rare que certains fassent des visioconférences à 6 heures du matin et à 23 heures le soir. Si cette situation n’est pas nouvelle, force est de constater qu’aujourd’hui, techniquement parlant, plus rien ne l’empêche !

Pour la direction comme pour nos organisations syndicales, suivre aujourd’hui la charge de travail et veiller à ce que les salariés respectent les durées conventionnelles de repos devient un vrai défi. Nous ne donnons pas toujours le bon exemple d’ailleurs quand il nous arrive d’envoyer des mails tard le soir ou durant le week-end.

Alors est-il souhaitable de revenir en arrière ? Non. Et est-ce possible d’ailleurs ? La direction doit-elle prendre des mesures radicales comme la fermeture des boîtes mails le week-end ? Ce serait peu efficace car les salariés adopteraient alors des stratégies de contournement en passant par les boîtes mails personnelles.

Une formidable opportunité syndicale

En tant que représentants du personnel et syndicalistes, nous devons, au contraire, accompagner ces développements des NTIC au lieu de les subir. C’est une opportunité formidable pour investir certains terrains que nous avons parfois du mal à occuper. C’est aussi la possibilité d’asseoir notre crédibilité auprès de nos directions. Car les problèmes soulevés par les NTIC ne sont pas nouveaux : nous en revenons toujours à parler d’organisations, de surcharges de travail et d’équilibre vie personnelle/vie professionnelle. Ce sont des sujets sur lesquels nous travaillons depuis des années et où les apports de la CFDT sont considérables. Bien souvent, nous cherchons à encadrer cette utilisation à travers des accords - télétravail ou même plus explicitement utilisation des NTIC dans l’entreprise par les organisations syndicales4- en oubliant que nous devons y penser pour tout sujet que nous abordons. Par exemple serait-il inapproprié dans un accord « égalité professionnelle » de voir dans les TIC une possibilité pour les jeunes parents de trouver un meilleur équilibre de vie ?5

Comprendre et maîtriser les technologies numériques de l’information et de la communication (TNIC) s’impose à tous - employeurs, salariés, représentants du personnel, syndicalistes - comme un nouveau défi à relever pour améliorer notre quotidien et non le subir. Quel programme et quelle chance !

1 : Solution développée par Cisco http://www.cisco.com/web/FR/ solutions/tele_index.html.

2 : Les « Policies » sont des règles établies par Accenture pour l’ensemble de ses établissements du monde entier et qui s’appliquent à tous les salariés sous réserve qu’elles ne soient pas en contradiction avec la législation en vigueur dans le pays.

3 : Article 2 de l’accord d’entreprise sur le télétravail à domicile.

4 : Aéroport de Paris par exemple.

5 : Lire à ce sujet le rapport de Jérôme Ballarin « Parentalité et égalité professionnelle hommes-femmes : comment impliquer les hommes ? » et plus particulièrement la « Bonne pratique n°7 : Faire émerger le concept de « flexibilité positive » .