Le 30 octobre 2015, après quasiment treize mois de négociations, trois organisations syndicales (CFDT, CFTC et CFE-CGC) signaient un accord avec les trois organisations patronales sur les retraites complémentaires. Une négociation de la dernière chance pour rassurer les retraités et surtout les futurs retraités. Les salariés, en particulier les plus jeunes, doutent de pouvoir bénéficier d’une retraite correcte. Il était également indispensable de favoriser l’équité des efforts entre retraités, entreprises et salariés. L’enjeu est de taille pour les cadres, car la retraite complémentaire est une composante essentielle de la retraite totale. La CFDT Cadres participe aux négociations Agirc-Arrco et peut se targuer d’avoir une vue globale et pertinente sur les dispositifs mis en œuvre.

La fusion Agirc et Arrco est inscrite dès 2001 dans les accords mais mainte fois reportée. L’épuisement définitif des réserves Agirc aura fait prendre conscience au patronat et à la CFE-CGC de l’importance de la situation1. La fusion et la mise en commun des réserves accentuent la mutualisation des deux régimes dont les règles sont quasiment identiques. Sans cet accord, les cadres auraient vu un ajustement drastique de leur retraite (l’Agirc ne peut pas reporter ses déficits). Le processus de reconstitution des comptes fait appel à des mesures visant les retraités, les actifs et les entreprises mais en affichant un déficit plus raisonnable (2,3 milliards contre 8,4 en 2020). Les efforts sont là mais aussi une mobilisation des réserves des régimes, notamment Arrco, pour lisser les efforts. Face à un Medef qui voulait tout et sans délai, la CFDT a posé les conditions d’une action à l’horizon 2030. L’action de la CFDT permet aux cadres de continuer à bénéficier d’un niveau de retraite correct avec des efforts limités et surtout équitables. La réforme systémique que prône la CFDT depuis longtemps avance. A l’issue du processus de rapprochement entre l’Arrco et l’Agirc, la lisibilité du dispositif de retraite des salariés du privé sera grandement renforcée.

Dans cette négociation, la CFDT a une fois de plus montré sa connaissance des dossiers et sa capacité à défendre tous les salariés sans engendrer de division entre cadres et non cadres. La fusion des régimes les solidarise et apporte un gage de pérennité. La contribution de solidarité et les mesures de limitation de la revalorisation des retraites permettent de rééquilibrer les efforts et ce sans oublier les petites retraites.

Du côté des protagonistes, la négociation a été un théâtre d’ombres.

La difficulté des organisations patronales à sortir d’une vision manichéenne des enjeux, la volonté affichée du Medef, affirmant que « pas un euro de cotisation ne serait dépensé en plus », ont conduit la délégation à masquer… les augmentations de cotisations (près de 800 millions par an en 2020). Il faudra un jour que le Medef sorte de son logiciel éculé. Les cotisations de retraites, qu’elles soient salariales et patronales, sont une forme de salaire différé et non une charge.

Côté organisations syndicales, la faiblesse règne. Seule la contreproposition CFDT a débloqué une situation tendue, rejointe par la CFTC qui a montré pugnacité et pragmatisme. La CGT a depuis longtemps quitté la rive des organisations en capacité de (se) réformer. La négociation a fait l’objet d’une préemption par son Union générale des ingénieurs cadres et techniciens dont les positionnements oscillent entre fantasques et approche binaire. La décision de Force ouvrière de quitter précipitamment la négociation (alors qu’elle était signataire de la quasi-totalité des accords depuis les années quatre-vingt-dix) et le stupéfiant revirement de la CFE-CGC interpelle également. Le syndicalisme français est-il encore en mesure de défendre le paritarisme ? L’accord 2015 sur les retraites complémentaires est équilibré, mais il ne lève pas tous les doutes sur la qualité du dialogue social au service de l’intérêt général.

1 : Avec un déficit technique de trois milliards d’euros pour dix-huit milliards de ressources, la consommation des réserves de l’Arrco vers l’Agirc ne suffisaient plus.