Vous avez passé deux années à observer des élèves de classes préparatoires commerciales et scientifiques d’un grand lycée de province pour y effectuer une sociologie d’une jeunesse au travail. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce travail d’enquête ?

L’enquête est née du fait que, pour faire une sociologie des classes préparatoires, il ne suffit pas d’être sociologue et d’avoir soi-même fait une prépa… Si on cherche des témoignages ou des avis, plus ou moins informés, ou des prises de position dans des débats sur les classes préparatoires, on ne va pas avoir de mal à en trouver dans les journaux, les magazines ou sur internet. Cette profusion de témoignages et de prises de position alimente ce que j’ai qualifié de « légendes » des classes préparatoires. Les légendes dorées défendent la contribution des prépas à la formation de l’élite, à la spécificité voire la supériorité françaises, leur caractère formateur, ou encore la force des amitiés qui s’y nouent. Les légendes noires en dénoncent la dureté, la souffrance qu’elles peuvent entraîner chez les élèves, ou le formatage intellectuel qui s’y fait par « bourrage de crâne ». Les légendes urbaines enfin, plus récentes et qui circulent sur internet, se positionnent explicitement par rapport aux autres types de légendes pour les réfuter au nom de l’expérience vécue (« on dit qu’il y a de la concurrence, mais en fait ce n’est pas vrai », « on dit que c’est la reproduction sociale, mais il y a 50 % de boursiers dans ma classe »).

En les qualifiant de « légendes », je cherche moins à mettre en doute ce qu’elles avancent qu’à souligner leur existence assez stéréotypée, leur forte circulation dans les médias, et surtout leur tranquille indifférence aux problèmes de la vérification ou de la généralisation des traits qui les composent : un témoignage portant sur une e