J.P. Le Goff s'élève violemment contre la frénésie de modernisation qui traverse la société actuellement. Il rapproche les méthodes utilisées dans le monde de l'entreprise de celles utilisées dans les institutions scolaires et universitaires. Ces méthodes rendent la société et le monde inhumain. «Et c'est précisément parce qu'elle érode les critères habituels du sens commun et du jugement, qu'elle déstructure le langage, les significations qui rendent le monde humain qu'elle peut être caractérisée comme barbarie. Ses discours et ses pratiques sont une négation en acte de la dimension culturelle qui donne sens à la vie en société».

L'«autonomie», la «transparence» et la «convivialité» sont les thèmes de prédilection. Il est très difficile de s'opposer à cette barbarie car son discours lisse n'offre pas de prise, mais «... elle ne laisse rien ni personne en repos. Dans leur vie personnelle et professionnelle les individus se trouvent constamment incités à faire preuve d'«autonomie» et de «responsabilité», ils se doivent d'être «motivés», «réactifs» et «participatifs»».

Certes, le monde change et il faut s'adapter, et si : «Le développement des nouvelles technologies, les transformations de l'organisation du travail et du management opérées par les entreprises ont pu produire des effets en terme de productivité et de qualité» on peut se poser la question : à quel prix pour ceux qui y travaillent quotidiennement ?

Dans un premier temps l'auteur analyse les outils de management et d'évaluation des compétences qui sont, dit-il, significatifs de la manipulation des salariés et de la déshumanisation du travail. « A un modèle autoritaire et paternaliste ancien tend à se substituer un management libéral qui prétend rendre les individus autonomes et responsables de leur propre sort sur le marché du travail ». J.P. Le Goff critique aussi la façon dont se trouve réhabilitée l'entreprise : « (...) placée sur un piédestal, elle devient un nouveau pôle de légitimité sociale, un modèle pour l'ensemble des activités sociales».

Pourtant les discours et pratiques des modernisateurs s'appuient sur les thèmes de gauche,«(...) s'opère alors un croisement entre les thèmes de l'autonomie, de la responsabilité, de l'autogestion et ceux du management participatif lié au projet d'entreprise. La confusion qui s'opère alors permet la manipulation, en laissant croire que les rapports de commandement et de contraintes dans le travail sont effacés, (...) La «créativité», l'«imagination», le «rêve», la «convivialité», la participation de tous doivent pouvoir s'intégrer dans l'entreprise dite du «troisième type».

Après les analyses et critiques concernant l'entreprise on nous présente l'analyse des outils d'évaluation des compétences appliqués aux enfants dès leur plus jeune âge. Là encore le jugement est sévère : les grilles d'évaluation utilisées « (...), affichent de façon froide, purement technocratique, des résultats dont l'interprétation ne va nullement de soi. (...) La relation se déshumanise, centrée autour d'une évaluation qui fait figure à la fois de diagnostic et de sanction».

Les méthodes pédagogiques et éducatives sont aussi fortement contestées. La discipline devient autodiscipline, laissant croire qu'il n'y aurait plus de contrainte et que la relation enseignant-jeune serait égalitaire. Il ne faut pas non plus laisser croire aux élèves que l'acquisition des connaissances enseignées à l'école ne demande pas d'efforts : «En apprenant à lire et à écrire, l'enfant est amené à se confronter à un univers de signes qui lui préexiste et ne lui est pas immédiatement intelligible. La pédagogie, pour indispensable qu'elle soit, est démagogie lorsqu'elle dénie ce décentrement et l'effort qu'il implique, (...)».

Comment en est-on arrivé là ? s'interroge J.P. Le Goff. Ce sont les thèmes développés en mai 68 qui sont aujourd'hui réinvestis dans la modernisation de l'entreprise et de l'école, nous dit-il.

La remise en cause de ces méthodes modernistes n'est pas facile. Pourtant il faut s'interroger sur leur bien-fondé, pour aller vers quel type de société.

Mais la situation est-elle aussi noire que veut bien nous le faire croire J.P. Le Goff ? Ses réflexions nous incitent toutefois à rester vigilants, face aux nouvelles méthodes de management notamment, bien souvent en porte-à-faux avec le droit du travail.