L'Italie est pour les Français à la fois la sœur latine, la patrie impériale des Romains colonisateurs et modernisateurs de la Gaule divisée, puis une péninsule morcelée en une multitude de villes-Etats, des cités marchandes de la Renaissance à la difficile et si récente unité, c'est aussi l'épisode fasciste qui fut une tyrannie moins sanglante que chez les voisins, un cinéma foisonnant, des cartes postales envoyées de sites prestigieux qui arrivent après le retour du vacancier, le « design » qui vieillit la mode parisienne, la criminalité organisée quand ce n'est institutionnalisée, la religion catholique qui pèse encore (même si le Pape n'est plus italien), la télévision privée vulgaire et racoleuse, un parti communiste qui inventa l'eurocommuniste avant de participer à une coalition de centre gauche et une démocratie chrétienne parti/Etat qui implosa lorsque des juges milanais débusquèrent un mélange de corruption et d'affairisme un peu plus poussé qu'ailleurs.

L'Italie c'est l'opéra et les spaghetti, le juge Falcone et Berlusconi, Fellini et Benetton, le bain dans la Fontaine de Trévi et l'attentat de la gare de Bologne, les brigades rouges et la Cicciolina, Don Camillo et Bruno Trentin, la combinazione et mani pulite.

L'Italie politique a animé la chronique européenne ces dernières années: après l'opération judiciaire « mani pulite » qui a emporté les anciens partis dans leur existence même, les gouvernements «techniques» se sont succédés, avant qu'un milliardaire cathodique allié à un régionaliste corporatiste ne fasse en quelques mois la preuve éclatante de son incapacité puis qu'à la faveur d'une révision constitutionnelle destinée à assurer aux gouvernements futurs un peu plus que les dix mois d'existence constatés en moyenne depuis un demi-siècle, une coalition dite de centre gauche ayant à sa tête un professeur ostensiblement modeste et pour colonne vertébrale un ex-PC social démocrate s'attaque à quelques uns des maux caractéristiques de la société italienne, avec le soutien des confédérations syndicales et la neutralité plus ou moins bienveillante d'un patronat régionalement réaliste mais parfois tenté par l'ultralibéralisme.

Le passé reste présent, les multitudes de ruines, d'églises, de châteaux ne sont pas à part de la vie quotidienne. Les grandes routes nationales qui partent de Rome s'appellent toujours via Appia ou via Tiburtina, et les plaques d'égout de la capitale arborent « SPQR »: Senatus populusque Romanum (le Sénat et le peuple romain).

L'Italie change. Terre traditionnelle d'émigration elle est devenue prospère pays d'immigration; patrie des mamas prolifiques et des péripatéticiennes flamboyantes elle connaît un effondrement démographique à la fois hédoniste et angoissé; les fonctionnaires clientélistes et nonchalants se mettent au travail; les gardiens de voitures donnent des reçus de la municipalité et les vendeurs de cartes postales rendent la monnaie.

Dans les Abruzzes, une entreprise spécialisée dans la fabrication d'automatismes militaires était menacée de mettre la clé sous la porte du fait de la diminution de commandes de sa seule cliente, l'armée; elle s'est reconvertie dans la fabrication d'automates perfectionnés pour un parc d'attractions taïwanais: trois ans de commandes et après on trouvera une autre idée. L'Italie a de la ressource. On pourrait bien reparler d'un «miracle italien».

Nous avons essayé de donner dans ce numéro un panorama de l'Italie d'aujourd'hui. Pas de fresque historique ni de chronique politique, simplement la description et l'analyse de quelques aspects économiques et sociaux généralement peu connus de ce côté des Alpes. Comme d'habitude, universitaires, chercheurs et syndicalistes ont la parole; s'y ajoute aujourd'hui une interview du ministre du Travail.

Notre vœu est que ces pages permettent à nos lecteur d'avoir une meilleure connaissance de la société italienne et de trouver, dans des expériences non strictement transposables, des idées pour l'action ici aussi.