Et, pourtant, un double constat s’impose : d’une part le cadre intermédiaire se sent souvent démotivé, en souffrance, prenant de la distance par rapport à l’entreprise alors même que, d’autre part on découvre ou redécouvre qu’il est le maillon central de l’entreprise.

Toutefois certaines grandes entreprises, parfois par l’intermédiaire de leur Observatoire des métiers, commencent à s’intéresser sérieusement à cette population et à envisager des pistes de réflexion ou d’action.

Une proposition de définition s’impose, même si elle est malaisée. Sont-ils des salariés comme les autres ? Rappelons – et c’est plus qu’une anecdote – que les syndicats ont été longtemps réticents à les admettre dans leur rang ; au début du XXe siècle, devenir agent de maîtrise ou cadre, c’était un peu renier ses origines, rompre ses liens avec ses compagnons. La CGT attendra 1936 pour accepter maîtrise ou cadres dans ses rangs. Remarquons que symétriquement, la syndicalisation de cet encadrement reste mal acceptée par de nombreuses directions.

Nous accepterons de considérer, avec Yves-Frédéric Livian, l’encadrement intermédiaire comme une large bande située entre les décideurs stratégiques et l’encadrement de premier niveau ou bien comme le personnel situé deux niveaux en dessous du directeur général et un niveau au-dessus des travailleurs opérationnels. D’autres chercheurs considèrent que les cadres intermédiaires ne sont pas des cadres supérieurs en modèle réduit mais ont des différences en terme de nature des activités exercées.

Les origines du malaise croissant de cet encadrement sont multiples. On peut citer l’engouement pour la « lean production » ou production maigre, qui a entraîné la diminution des niveaux hiérarchiques et une pression accrue des cols blancs sur la productivité, qui n’a pas amélioré l’image de cette population, tout en se privant en partie d’un précieux relais d’informations.

Un nouveau modèle se cherche encore après l’abandon progressif du modèle de Taylor, Ford ou Fayol qui reposait sur cette double division du travail : une division technique avec spécialisation des tâches et une division sociale en distinguant conception et exécution. Par exemple, le management par projet qui se développe donne à l’encadrement un rôle très particulier. Les fusions, restructurations, licenciements ont par ailleurs gravement touché l’encadrement intermédiaire, lui faisant perdre une partie de sa confiance dans sa hiérarchie.

Tensions et solidarités

Les changements de stratégie, d’orientation ou d’organisation auxquels il est rarement associé le mettent dans une situation très inconfortable qui le solidarise, de fait, des opérateurs. Un manque de reconnaissance et une insuffisante prise en compte de ses compétences sont souvent soulignés. La surcharge de travail, la montée du stress sont également mis en avant.

Souvent venu d’horizons techniques, le manager intermédiaire est peu préparé auxnouvelles configurations du rôle d’encadrement et notamment au rôle des outils de gestion.

Le mélange de populations d’origines très diverses ne va pas de soi entre le cadre promu expérimenté et le bac + 5 recruté sur ses diplômes mais sans grande compétence. Le management de la diversité qu’on lui demande est loin d’être une chose aisée.

Le malaise de l’encadrement intermédiaire est d’abord préjudiciable pour le personnel concerné, mais l’est aussi pour les directions dans la mesure où elles ont pris conscience du rôle central du manager de proximité (au delà du fait qu’elles peuvent être parfois à l’origine au moins partielle de ce malaise).

Bien que le mandat donné au manager intermédiaire reste souvent confus, on peut avec Hales dégager quelques activités centrales : agir comme figure symbolique, représentant de contact pour une unité de travail ; être en contact et négocier , à l’intérieur et à l’extérieur de l’organisation, avec l’ensemble des acteurs concernés (subordonnés et supérieurs hiérarchiques) ; diriger et planifier le travail des subordonnées ; gérer l’allocation de ressources ; surveiller et faire circuler l’information ; résoudre les problèmes et innover dans les processus ; participer à la gestion des ressources humaines (recrutements, formations, évaluations).

Le développement de cette dernière responsabilité est un des éléments principaux, un des facteurs clés de succès de la fonction du cadre intermédiaire, mais c’est probablement aussi un des aspects les plus difficiles à maîtriser.

La nécessité de permettre à l’encadrement intermédiaire de retrouver sa motivation et sa légitimité afin qu’il puisse jouer tout son rôle, dont certains ont peut-être pensé un peu vite qu’on pouvait en faire l’économie, apparaît comme un enjeu majeur de ces prochaines années. Par rapport à ce constat de plus en plus partagé, existe-t-il des voies possibles de progrès ? Ce n’est assurément pas si facile.

D’abord l’employeur ne peut tenir un langage décalé par rapport aux actes : par exemple, prôner une gestion de RH fondée sur le moyen ou le long terme (gestion prévisionnelle des emplois et des compétences) et dans les faits utiliser l’encadrement comme une variable d’ajustement, quantitatif ou qualitatif.

Un climat de confiance est nécessaire et se mérite. De même, le manager doit intégrer dans sa trajectoire le fait que l’entreprise ne survit – et a fortiori ne se développe – qu’avec un ajustement constant aux variations techniques, concurrentielles, environnementales, ce qui contraint chacun, le manager en particulier, à une vigilance et une exigence extrême sur la validité (la valeur) de ses compétences. L’employabilité des salariés n’existe que si elle rencontre une détermination correspondante du manager. Bien définir les missions de chacun à l’intérieur du groupe social est la condition nécessaire.

Accepter de donner du contenu au concept de considération par la rémunération et par une vraie formation permanente, managériale ou technique – en particulier pour les managers relativement anciens – diplômante ou non (la VAE nous semble bien timidement abordée) est une autre dimension à développer.

Le troisième axe de progrès devrait venir de l’implication de ce management intermédiaire dans la préparation et la mise en place du changement dans l’entreprise : considérer ce manager comme un simple relais de décisions qui ne sont pas prises par lui, qui est juste un transmetteur d’informations entre deux groupes sociaux de l’entreprise peut faire douter de la pérennité de la fonction. Une représentation élargie de son rôle est nécessaire.

L’entreprise souffre d’un déficit de participation et de démocratie : pouvoirs, relais, contre-pouvoirs doivent non seulement co-exister mais travailler ensemble. L’encadrement intermédiaire, comme la direction, les opérateurs ou les syndicats, y a toute sa place.