Durant une trentaine d’années, les dactylos incarnèrent la modernité des emplois de bureau ouverts aux femmes dotées d’une qualification technique reconnue, associée à une stricte dépendance fonctionnelle. Ces emplois ont accompagné le développement de l’administration et des services et toutes les mutations des sociétés industrielles en voie de rapide urbanisation. De manière discrète, ils furent le « support » d’une génération en voie d’émancipation, marquée par une nouvelle indépendance économique, le droit de vote, le permis de conduire et bientôt la contraception. Le requisit minimal stipulait des études générales et un bon sens de l’organisation, dont les écoles de secrétariat validaient les formes – ce furent les heures de gloire des Cours Pigier ou Berlitz. Parmi les non-dits de cette croissance rapide de l’emploi féminin figurait en bonne place la soumission ou l’adaptation aux desiderata professionnels des cadres masculins, alors seuls titulaires des fonctions de responsabilité et de représentation.

Des techniques relationnelles

Cela dit, à l’époque où l’usage du téléphone restait un privilège, ces emplois étaient parmi les premiers pour lesquels les compétences relationnelles et une forte implication dans le suivi en arborescence d’un carnet d’adresses et de multiples correspondances constituaient le point fort de compétences nouvelles. Cette professionnalité en devenir s’appuyait en effet sur des dimensions cognitives alors difficiles à thématiser, devenues centrales depuis. Celles-ci relèvent d’abord du corporel : coordonner le regard, la voix, l’écoute, la lecture, les gestes de contrôle au clavier, une combinatoire de mémorisation et d’anticipation destinée à « gérer les flux ». Ce sont autant de points d’articulation d’une modernité utopique combinant le savoir-être au savoir