Voici un livre bourgeonnant à l’image de la réalité protéiforme qu’il ambitionne de saisir. Gérard Claysse, chercheur en économie des transports, se propose dans cet essai de décortiquer les trois mythes fondateurs du discours promotionnel sur la société de l’information : le mythe de l’ubiquité, celui de la convivialité et celui du progrès.

A la manière de Roland Barthes dans « Mythologies », l’auteur soumet chacun de ces mythes à l’épreuve de l’analyse symbolique. Et d’analyser les récits les plus divers pour illustrer les figures élémentaires de la mythification opérée dans l’impensé du discours utopique. Parmi les récits convoqués, beaucoup de mythes premiers comme celui de la tour de Babel, mais aussi des contes philosophiques comme le Gargantua de Rabelais ou le Candide de Voltaire, et ceux plus récents des conteurs de notre temps que sont les écrivains de science-fiction et non des moindres : Philip K. Dick, Isaac Asimov ou Frank Herbert. Le tout saupoudré de messages publicitaires de France Telecom, accrochés en épigramme à chacun des chapitres.

Le décorticage est plaisant car cruel à souhait mais deviendrait vite fastidieux s’il n’était pas soutenu par une grande culture et une longue familiarité avec les réductions et falsifications qu’opère le discours technocratique, qualités qui, seules, permettent d’en offrir au lecteur la quintessence. Cependant la lecture de cet essai brillant au rythme rabelaisien, abordant sans complexe la philosophie de la technique comme l’économie politique de l’information, s’arrête avec comme un arrière-goût d’inachevé. L’accumulation des références, l’empilement des concepts, le strass des anecdotes, l’esthétique des constructions masquent mal l’impasse théorique dans laquelle se débat la critique d’ordre simplement symbolique contre le discours dominant : elle reste dominée par l’ordre de la réalité.