La déontologie peut se définir comme l’ensemble des règles régissant une profession et la conduite de ceux qui l’exercent. Elle est fondée sur des droits et obligations préalablement et juridiquement définis. En quelques années, sous l’effet conjugué d’une opinion publique de plus en plus critique et exigeante à l’égard de la sphère publique ou politique et d’un législateur souhaitant la conforter par l’édiction de règles et principes, la déontologie est incontestablement devenue un marqueur de la Fonction publique. Elle concerne indistinctement les fonctionnaires, élèves fonctionnaires, stagiaires et contractuels qui exercent des missions de service public. La loi du 20 avril 2016 relative à la déontologie, aux droits et obligations des fonctionnaires marque une étape importante pour l’affirmation de principes et obligations déontologiques gouvernant le droit de la Fonction publique.
Selon l’article 25 bis de la loi du 13 juillet 1983 modifié et désormais codifié à l’article L 121-1 du Code Général de la Fonction publique (CGFP), le fonctionnaire exerce ses fonctions avec dignité, impartialité, intégrité et probité. Dans l’exercice de ses fonctions, il est tenu à une obligation de neutralité. Le fonctionnaire exerce ses fonctions dans le respect du principe de laïcité (art L 121-2 du CGFP). Invariablement opposable aux fonctionnaires comme aux contractuels, la loi du 20 avril 2016 fait des principes déontologiques (dignité, impartialité, probité et intégrité, obligation de neutralité) les valeurs premières du fonctionnaire auxquelles il ne saurait se soustraire. Sans prétendre à l’exhaustivité, les obligations d’impartialité et de probité, comme celle de neutralité méritent une attention particulière. Le droit de la Fonction publique s’est pour ce faire doter de référent en la matière.
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L’obligation de prévenir les conflits d’intérêts
Selon l’article L 121-5 du CGFP, constitue un conflit d’intérêts, toute situation d’interférences entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif de ses fonctions. Face à un conflit d’intérêts, le fonctionnaire ou l’agent public a une triple obligation :
- une obligation d’informer son supérieur hiérarchique afin de mettre en place un arrêté de déport ;
- une obligation de faire cesser sans délai la situation de conflit d’intérêts en s’abstenant de faire usage de sa délégation de signature ;
- une obligation d’abstention en ne participant pas à une instance collégiale en s’abstenant de donner toutes instructions ou consignes à son suppléant.
Le juge administratif comme pénal fait preuve d’une assez grande sévérité en la matière puisqu’un soupçon d’impartialité suffit à caractériser l’infraction de prise illégale d’intérêts[1] (Cass. crim., 13 janv. 2016), ou des relations amicales entre un maire et un promoteur immobilier conduisant à l’attribution d’un marché sans mise en concurrence préalable permet également de caractériser l’infraction pénale de prise illégale d’intérêts (Cass. crim., 5 avril 2018) en matière de marchés publics, l’obligation d’impartialité implique l’absence de conflits d’intérêts. Le manquement à ce principe constitue un vice d’une particulière gravité justifiant l’annulation du contrat (Conseil d’Etat, 25 nov 2021). Un dispositif symétrique existe pour les élus locaux qui, aux dires de l’article L 1111-1-1 du Code général des collectivités territoriales, doivent exercer leurs fonctions avec impartialité, diligence, probité et intégrité. l’élu local veille à faire prévenir ou à faire cesser immédiatement tout conflit d’intérêts. La loi du 21 février 2022 dite « loi 3 DS » prévoit en outre (art. 218) que tout élu local peut consulter un référent déontologue chargé de lui apporter tout conseil utile au respect des principes déontologiques consacrés dans la charte (une charte de déontologie est remise à chaque élu local après lecture par le maire ou le président, lors de la séance d’installation).
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l’obligation de neutralité et le respect du principe de laïcité
L’affirmation du principe de laïcité dans la Fonction publique obéit à des objectifs : reconnaître le principe de liberté d’opinion et de conscience des agents publics dans l’exercice de leurs fonctions (droit du fonctionnaire) ; reconnaître le principe de neutralité de l’agent public dans l’exercice de ses fonctions (obligation du fonctionnaire) ;
permettre dans un cadre distinguant sphère publique et sphère privée, l’exercice de la religion (séparation de l’Église et de l’État) ; organiser, sur la base d’une séparation de l’église et de l’État, le financement des cultes.
Le préambule de la Constitution de 1946, puis celui de la Constitution de 1958, assure une liberté de conscience notamment pour les agents publics dans l’exercice de leurs fonctions ou de leurs missions. Nul ne peut être lésé dans son travail ou son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances. L’article L 111-1 du CGFP garantit la liberté d’opinion aux agents publics. La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale (Const. 4 oct. 1958, art. 1). Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances.
L’obligation de neutralité, assortie du respect de la laïcité, constitue une des valeurs premières de la fonction publique. L’agent exerce ses fonctions dans le respect du principe de laïcité (art. L 121-2 du CGFP) et s’abstient notamment de manifester, dans l’exercice de ses fonctions ses opinions religieuses. Le Conseil constitutionnel (2 juin 2017, n° 2017-633 QPC) confirme indirectement que l’obligation de neutralité, et sa composante première la laïcité, ne connaît que des exceptions limitatives à la neutralité de l’espace public (3 exceptions posées par l’art. 28 de la loi de 1905) ou matérielles et territoriales.
La loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République contient différentes mesures relatives à l’obligation de neutralité et au respect du principe de laïcité. La loi inscrit ces principes dans les contrats publics. Ainsi, les titulaires de contrats publics relatifs à l’exécution d’un service public (ex. des délégataires de service public), devront veiller au respect du principe de neutralité et à l’interdiction pour leurs salariés de manifester leurs opinions ou appartenances religieuses (L n° 2021-1109, 24 août 2021, art. 1er). Les élus locaux, lorsqu’ils agissent au nom et pour le compte de l’État, sont tenus au respect des principes de neutralité du service public et de laïcité
(L n° 2021-1109, 24 août 2021, art. 6). Les associations bénéficiaires de subventions publiques devront signer un contrat d’engagement républicain par lequel elles s’engagent au respect de l’obligation de neutralité du service public et de laïcité (D. n° 2021-1947, 31 déc. 2021). Ainsi, le principe de laïcité fait obstacle à ce que les agents publics puissent affirmer et manifester leurs croyances religieuses. Parallèlement, la Charte de la laïcité dans les services publics doit être affichée dans les lieux accueillant du public. La nouvelle charte de la laïcité dans les services publics a été adoptée lors du comité interministériel de la laïcité du 9 décembre 2021.
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La mise en place des référents déontologues et laïcité dans la Fonction publique
Selon l’article L 122-4 du CGFP, tout fonctionnaire a le droit de consulter un référent déontologue chargé de lui apporter tout conseil utile au respect des obligations et des principes déontologiques mentionnés aux articles 25 à 28. Cette fonction de conseil s’exerce sans préjudice de la responsabilité et des prérogatives du chef de service. Cet article appelle plusieurs observations. L’accès à un référent déontologue constitue « un droit » pour chaque agent ou fonctionnaire dans des conditions lui garantissant secret professionnel et confidentialité des échanges avec le référent désigné à cet effet. Le référent déontologue peut être une personne physique ou un collège de personnes physiques désigné en interne ou en externe et, le cas échéant mutualisé entre collectivités (par exemple, le référent déontologue des Centres de gestion pour les collectivités qui adhérent de manière obligatoire). Le référent déontologue peut intervenir sur l’ensemble des questionnements déontologiques inhérents aux missions de service public (art L 122-4 du CGFP et D du 10 avril 2017. Afin d’assurer indépendance et impartialité, le référent déontologue est soumis à une déclaration préalable d’intérêts. Il élabore de manière anonymisée un rapport annuel.
Quel que soit le versant de la Fonction publique, le référent déontologue est désigné « à un niveau permettant l’exercice effectif de ses missions » (art 4, décret du 10 avril 2017). S’agissant de la fonction publique d’État, la Direction Générale de l’Administration et de la Fonction Publique est appelée à avoir un rôle de coordination des actions en matière de déontologie et de prévention des conflits d’intérêt (art 1er, D n° 2016-1804 du 22 décembre 2016, J.O 23 déc). Dans les administrations et établissements publics d’État, le référent déontologue est désigné par le chef de service, au sein ou à l’extérieur du service (art 4, décret du 10 avril 2017). La désignation par le chef de service - au sens que lui reconnaît l’arrêt Jamart (Conseil d’Etat, 7 février 1936 : Rec CE 1936, 172) - revient à l’autorité hiérarchique.
Prévu par la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la république et le décret du 23 décembre 2021 (Décrêt n° 2021-1802 du 23 déc 2021 relatif au référent laïcité dans la Fonction publique), et désormais codifié à l’article L 124-3 du CGFP, le référent laïcité devra s’articuler autant que possible avec les missions du référent déontologue qu’il soit désigné en interne ou en externe de la collectivité territoriale ou qu’il appartienne au Centre de gestion (pour les collectivités affiliées à titre obligatoire ou volontaire). Selon l’article 1er du décret du 23 décembre 2021, les référents laïcité sont désignés à un niveau permettant l’exercice effectif de leurs fonctions.
Image essentiellement préventive qu’il s’agisse des conflits d’intérêts ou du respect de l’obligation de neutralité et du principe de laïcité, la déontologie a pour première fonction de rappeler les obligations déontologiques et statutaires des agents publics et fonctionnaires. La mise en place de référents déontologues, laïcité ou alerte éthique s’inscrit dans cette démarche de prévention. Il appartient à chacun et particulièrement à l’autorité hiérarchique d’y veiller, de sensibiliser et de former les agents publics dont elle a la responsabilité. La qualité du service public passe aussi par la déontologie de ses agents.
[1]-L’infraction de prise illégale d’intérêt est caractérisé par le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public ou par une personne investie d’un mandat électif public, de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt de nature à compromettre son impartialité, son indépendance ou son objectivité» dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l’acte, en tout ou partie, la charge d’assurer la surveillance, l’administration, la liquidation ou le paiement.