Dans des numéros précédents[1], la revue m’a offert l’occasion de parler de l’évolution de ces deux fonctions. Je me contenterai donc ici de centrer mon propos sur les jeunes. Les catégories généralisantes (jeunes, générations Y ou Z, etc.) m’ont toujours gêné. Elles tendent à regrouper trop facilement des individus qui sont très dissemblables en réalité. Tous les jeunes sont en effet porteurs de singularités personnelles et de stigmates de différentes sortes, qui construisent leur identité, forcément multiple. La jeunesse n’est qu’une des caractéristiques qui les définit. Si ce sont des jeunes parmi les jeunes, ils poursuivent leurs études dans le 93, ce qui est en soi un stigmate. Ceux que je côtoie, promotion après promotion, ont identifié le master et ont été sélectionnés pour l’intégrer. C’est donc un choix personnel de leur part, choix désiré ou par défaut, mais en tout cas avec des espoirs certains de professionnalisation en communication interne ou en ressources humaines.

D’une génération à l’autre, qu’elle soit Y hier ou Z aujourd’hui, ce qui les rassemble est plus fort que ce qui les distingue. Ce qui a changé au cours de ces dernières années, c’est probablement – comme l’a montré une récente étude[2] – une plus forte stigmatisation de la jeunesse et une intériorisation de cette stigmatisation par les jeunes eux-mêmes. Ils seraient « paresseux, individualistes, égoïstes, réfractaires à l’autorité… ». Je constate au contraire qu’ils ont toujours un désir d’insertion (sociale et économique) afin de construire sereinement leur parcours de vie aussi bien professionnelle que personnelle. En un mot, ils cherchent un travail[3] à la fois comme emploi – générateur d’un revenu – et comme activité – générateur de relations – qui leur permet d’accéder au travail comme production − générateur de fierté – et de se faire une place dans la société – générateur d’une identité. Aucune défiance de leur part quant à la « valeur travail » (qui serait en perte de vitesse selon certains) ; mais assurément recherche d’un travail de valeur (ce qui est bien délicat à trouver). Autant dire que « mes jeunes » d’aujourd’hui se comportent comme mes jeunes d’hier : ils observent le contexte professionnel, cherchent à comprendre le fonctionnement des entreprises, et essaient de s’y intégrer sans renier ce qu’ils sont ou ce qu’ils pensent. Ils font preuve d’adaptation au monde dans lequel ils vivent, cela ne change pas de leurs aînés. En revanche, le résultat de leur observation évolue quel que soit le registre choisi (politique, social, économique, écologique). Tant et si bien qu’ils cherchent, comme tout le monde, du lien (et pas seulement du bien, c’est-à-dire un salaire) et du sens au travail (moins gagner sa vie que ne plus perdre sa vie à la gagner) malgré l’angoisse de ne pas en trouver.

Cette recherche de sens et d’accomplissement n’est pas nouvelle. Toutes les générations l’ont en commun. Mais force est de constater que la pandémie de la Covid-19 a renforcé et modifié cette quête. Avec Daniel Mercure[4], on peut considérer le rapport au travail comme « la nature et les formes de liens que les individus entretiennent avec l’activité de travail et l’emploi ». Ce rapport définit ainsi la place occupée par le travail dans la vie de chaque individu, la valeur qu’il ou elle lui accorde, la façon de s’y engager. Au-delà de cette définition, ce rapport se vit et s’éprouve au quotidien. Or, la crise sanitaire a éprouvé − fortement même si différemment − les salariés et le métier qu’ils exerçaient. Après les confinements, ils sont revenus en entreprise avec des questions au moins sur trois registres : moi et mon travail (équilibre entre plaisir de la pratique du métier et contraintes des processus organisationnels), moi et l’entreprise (équilibre entre engagement et reconnaissance en retour), moi et mes proches (équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle). Bref, qu’est-ce que mon entreprise me donne en échange de ce que je lui donne ? Est-ce que mon engagement est justifié ?

Dans ces temps incertains, les jeunes plus que d’autres se disent que, peut-être, ce qui compte vraiment c’est d’élaborer une « autre présence au monde » comme l’écrit Cynthia Fleury[5], notamment en matière d’environnement. Pierre-Olivier Monteil[6] remarque pour sa part que « la teneur d’un engagement est faite de ce mixte de désir d’appartenance et de ressources critiques qui permet, en en réévaluant constamment le sens, d’en maintenir la valeur et la vigueur au fil des circonstances ». Faire lien, faire sens, besoin de s’engager, de se situer, nous retrouvons là autant d’éléments moteur de la réflexion portée par les jeunes que je côtoie. Reste à ma charge de leur fournir les ressources critiques pour maintenir et développer la vigueur de leur réflexion et de les armer ainsi au mieux pour leur quête d’un travail de valeur.

[1]- Les no 487 (décembre 2020) et no 489 (juillet 2021).de la revue Cadres. [2]- Suzanne Gorge et Thierry Pech, « Un portrait positif des jeunesses au travail : au-delà des mythes », Terra Nova, février 2024. [3]- Marie-Anne Dujarier, Troubles dans le travail, PUF, 2021. [4]- Les transformations contemporaines du rapport au travail, Presses de l’Université Laval, 2020. [5]- Le soin est un humanisme, coll. Tracts, Gallimard, 2019. [6]- Éthique et philosophie du management, Érès, 2016.