Dans votre analyse des mauvaises décisions, vous écartez assez vite l’idée d’un « calcul amoral », en insistant beaucoup plus sur la part du « bricolage cognitif » et d’une mauvaise évaluation des risques. Pouvez-vous préciser ce point ?

C’est d’abord une question de méthode. Je réfléchis en sociologue, et non pas en juge : mon propos n’est pas de juger les personnes, mais de comprendre des mécanismes. Et précisément, en analysant les situations du point de vue du sociologue, on est amené à reconnaître la part des effets de système, et en définitive le fait que les acteurs d’une décision sont rarement cyniques ou mal intentionnés.

Il ne s’agit pas non plus de faire de l’angélisme, mais plutôt de se rendre compte qu’un événement néfaste, une décision erronée sera le plus souvent une conjonction d’actions qui s’enchaînent de façon automatique, sans que quelqu’un ait souhaité, calculé, ni même envisagé le résultat. L’exemple classique serait ici le déclenchement de la Première Guerre mondiale : les services secrets autrichiens savaient que Prinzip fomentait un attentat, mais ne pensaient pas qu’il réussirait. L’Autriche déclare la guerre à la Serbie, du coup la Russie mobilise sans vouloir la guerre. De ce fait l’Allemagne attaque la France pour se protéger à l’ouest, et ainsi de suite. Aucun des acteurs de cette suite d’actions raisonnées ne s’est montré capable d’imaginer le résultat de la chaîne de décisions à laquelle il participait.

Une mauvaise décision serait ainsi une décision inconséquente. Mais il semble pourtant que les décideurs, les cadres par exemple, ne cessent de penser aux conséquences de leurs actes.

Bien sûr, et il n’est pas question de les représenter comme totalement insensibles aux résultats de leurs décision. Mais, si l’on essaie de comprendre ce qui caractérise une mauvai