Il y a quelques mois deux ouvrages ont suscité un engouement sur le réseau social professionnel LinkedIn : « Chief Bullshit Officer 2.0 [1]» et sa fameuse carte du Bullshitland dessinés et scénarisés par Fix, et « Petit Précis de culture bullshit [2]» de Karim Duval. Ces deux auteurs ont pour particularité d’avoir un temps travaillé en entreprise, comme cadres, avant de se tourner vers le métier d’artiste. Ils ont construit leur identité artistique principalement autour de la satire de la vie au travail des employés de bureau. Avec un humour parfois grinçant, ils dénoncent les aberrations et absurdités d’une pratique de travail de plus en plus ressentie comme déconnectée du réel et enfermée dans des discours abscons. En publiant ces deux ouvrages de façon quasi simultanée et sans s’être concertés, les auteurs ont mis en lumière une pratique managériale de plus en plus vécue par les cols blancs comme un « bullshit management ».

L’emploi du mot « bullshit » dans ces deux ouvrages fait référence aux travaux de David Graeber, anthropologue et théoricien de la pensée libertaire nord-américaine, décédé en 2020. En 2013, David Graeber publie dans le magazine Strike ! un article intitulé : « On the Phenomenon of Bullshit Jobs: A Work Rant[3] » dans lequel il émet l’hypothèse qu’une proportion significative des emplois de bureau sont non seulement inutiles, mais sont également considérés par ceux qui les occupent comme inutiles. Ces emplois seraient le produit d’un système managérial visant à autojustifier son existence mais aussi une forme d’aliénation d’une partie des salariés permettant de maintenir le développement du capitalisme financier. L’artic