Des élections professionnelles le même jour et dans toutes les composantes de la fonction publique, c’est une première. Cela valait bien un numéro spécial (*) de notre revue Cadres CFDT consacré à l’action publique, celle de ses agents et contractuels, de ses cadres et managers mais également celle des syndicalistes CFDT, tous engagés professionnellement pour rendre un service public de qualité, pour une qualité de la relation de service public.

La CFDT s’intéresse à l’action publique et l’expression de Laurent Berger en témoigne. Elle s’intéresse au travail des agents et des contractuels de la fonction publique. Elle s’intéresse à l’action des cadres A de la fonction publique. La CFDT Cadres a donné « La parole aux A Â» en 2011. Lors de cette enquête, plusieurs milliers de cadres ont saisi cette opportunité pour parler, et parfois pour libérer une parole sur leur activité. Une activité, une action en direction du public, une action publique qui n’est pas un monopole des politiques, ni même de l’Etat employeur. Elle est d’abord ce qu’en font au quotidien toutes celles et ceux qui écoutent, répondent, servent et font la relation de service public auprès des usagers, des bénéficiaires et des citoyens…

Evaluer les politiques publiques est nécessaire a fortiori lorsque l’argent public se fait plus rare ou plus contraint. Mais le faire sans donner la parole à ceux qui les mettent en Å“uvre, le faire sans s’appuyer sur une autre évaluation, sur la qualité de la relation de service et sur la qualité de cette interface, c’est marcher sur une jambe. Le top-down sévit dans toutes les organisations, qu’elles soient privées ou publiques. Il est bien rare de repartir du client final, de l’usager et de ses besoins, des salariés, des agents et de leurs attentes, pour constituer l’offre de service. Il est bien rare de s’appuyer sur les aspirations de plus de « pouvoir d’agir Â» pour simplement travailler dans de bonnes conditions des managers de proximité. Du pouvoir d’agir, c’est pourtant bien ce que nous ont demandé très majoritairement et très fortement les cadres A de la fonction publique. Retrouver du pouvoir d’action suppose que soient réunies de bonnes conditions d’exercice de la responsabilité des cadres et managers de proximité, de bonnes conditions pour faire leur travail. Il s’agit là d’une condition essentielle d’un management responsable, comme le souligne Youssef Ghennam.

Si les politiques publiques ont de tout temps fait l’objet d’une évaluation, le contexte actuel de dette publique ne fait que renforcer les dispositifs d’évaluation, tant chaque euro dépensé doit l’être avec un maximum d’efficience. Mais évaluer les politiques publiques ne saurait suffire à évaluer l’action publique et la qualité de la relation de service public. Car rendre compte suppose de se rendre compte et de repartir du terrain, des attentes et d’évaluer la pertinence de l’offre. Plus qu’une évaluation politique des politiques, il s’agit bien d’une évaluation professionnelle par les professionnels de la relation de service, comme le souligne à juste titre Francis Ginsbourger.

La négociation collective des conditions du travail, le plus en amont possible, est tout aussi importante que les conditions de travail, souvent constatées en aval, quand les dégâts sont faits et qu’il faut alors réparer. Mieux vaut prévenir les risques, en amont, par le dialogue social. Un dialogue social qui peine à émerger avec un Etat employeur qui n’est pas toujours exemplaire. Un dialogue social qui doit s’appuyer fortement sur l’expression des agents, leurs besoins et leurs attentes. Mais aussi celle des usagers. Repartir du besoin, de la relation de service public pour porter cette matière dans le dialogue social. C’est tout le contraire d’une approche exclusive par le haut, par le top pour aller vers le bas, le down. Tout le contraire d’une approche purement gestionnaire incarnée par la Lean administration, un choix managérial dangereux selon Annie Chemla-Laffay. Un choix que le syndicalisme doit questionner, voire dénoncer lorsqu’il va à l’encontre des besoins des usagers ou des attentes des agents. Tout le contraire d’une approche purement comptable imposée par la Lolf (Loi organique relative aux lois de finances), celle-ci pouvant conduire à transformer des dépenses de personnel en dépenses de fonctionnement en passant par des autoentrepreneurs non indépendants (étude de Sarah Abdelnour).

Mais le dialogue social n’a pas le monopole de la parole sur le travail et des conditions de réalisation de celui-ci. Le dialogue professionnel de proximité avec les équipes et les cadres de proximité doit permettre de faire émerger une parole individuelle et une parole consolidée sur le travail, l’activité et les compétences. De ce point de vue, l’expérimentation de la DGFIP (l’article de Bernard Damothe et Denis Grégoire) est très riche d’enseignements. Elle met l’accent sur l’articulation entre le dialogue professionnel et le dialogue social. Elle mérite d’être prolongée et élargie.

Ces professionnels de la relation de service public cherchent souvent des appuis qu’ils ne trouvent pas toujours auprès de leur hiérarchie ou de la fonction RH. Le premier appui recherché est souvent l’espace de dialogue entre pairs pour parler métiers, faire part de ses problèmes, de ses dilemmes de responsabilité ou de la confusion des mandats pour reprendre les propos de Loïc Cadin et Jean Pralong. L’appui professionnel peut prendre la forme d’un conseil, d’un accompagnement ou d’un travail réflexif sur ses propres pratiques professionnelles. En quoi celles-ci s’écartent t-elles ou non d’une norme, de règles déontologiques ou de l’état de l’art de la profession ? Sont-elles cohérentes avec ses propres valeurs et son éthique personnelle ? Monique Boutrand et Bernard Jarry-Lacombe précisent comment la formation professionnelle peut devenir un service à valeur ajoutée pour les adhérents d’une organisation syndicale et venir en complément utile aux espaces de dialogue professionnel. Jean-Paul Carlat, cadre supérieur à la SNCF, nous dit combien le syndicalisme peut aussi être une formidable école d’apprentissage en situation professionnelle. Enfin, la motivation des cadres des fonctions publiques oscille parfois entre incitations financières et intérêt général, comme le démontre Maya Bacache-Beauvallet. Une question sensible et qui n’est pas facile à aborder dans le dialogue social dans la fonction publique. Les professionnels de l’action publique sont ainsi en quête de reconnaissance et de justes contreparties de leur investissement au travail.