Qu’est ce que cela veut dire, travailler au développement des pays des Suds, quand on travaille dans des institutions publiques françaises ?

Je crois qu’il faut partir du fait que les institutions publiques qui constituent le dispositif d’aide et de coopération sont d’abord les héritières d’un appareil mis en place du temps de la colonisation, puis adapté par la suite à une politique qui visait à préserver l’influence française dans un très grand nombre de pays. De là vient la structure extrêmement complexe et lourde de ce système. Ensuite est venue la période « développementiste » : elle a été marquée sur le versant néolibéral, par l’idéologie du rattrapage - les fameuses décennies du développement où l’on a pensé qu’à force d’efforts, on allait réduire le fossé entre PVD et pays riches - et par le contexte de la guerre froide. Faire du développement, c’était alors combattre l’avancée du communisme dans le tiers-monde, puisque la misère était censée faire le lit de la Révolution. Par exemple on pourrait citer les programmes de la Fondation Rockfeller finançant les recherches de Norman Borlaug, généticien, qui a mis au point les variétés de blé et de maïs à haut rendement. Il est le père de la Révolution Verte ; on lui a donné le prix Nobel de la Paix, car un raisonnement un peu tronqué laissait croire que résoudre le problème de la faim consistait seulement à accroître la production et qu’ainsi on éviterait la progression des « rouges ». Toujours dans cette même période, mais sur le versant « progressiste » cette fois, le courant « tiers-mondiste » travaillait dans les institutions publiques pour contribuer à bâtir l’autonomie des « jeunes nations ». Concrètement tout le monde tirait à peu près la charrue dans le même sens, à quelques programmes, manières de faire et partenaires près.