La directive européenne du 12 juin 1989

La directive européenne 89/391/CEE du Conseil des Communautés européennes énonce les neuf principes généraux de la prévention des risques professionnels, qui seront repris dans tous les textes suivants.

D’emblée, le texte insiste sur l’idée d’adapter le travail à l’homme, intégrant les conceptions « accidentalistes » du risque dans le projet d’une action globale sur l’organisation et les conditions du travail. Alors que les transpositions françaises de la directive, marquées par les différentes affaires qui émergent au début des années 1990, vont s’attacher à définir des responsabilités et donc à restreindre la notion de risque sur les cas les plus graves, la directive européenne imagine un espace plus large.

La loi du 31 décembre 1991

La loi n°91-1414 (intégrée au Code du travail dont elle forme les articles L. 230-1 et suivants) reprend ces principes, les enrichit, et précise les conditions dans lesquelles ils s’appliquent, en définissant notamment les responsabilités et le rôle des acteurs : chef d’établissement, inspecteurs du travail, ceux-ci dotés d’un pouvoir de police. Des procédures sont définies, au cours desquelles les représentants des salariés se voient reconnaître un rôle consultatif. Il est intéressant de noter que dès cette époque, une attention particulière est portée aux cas où plusieurs structures juridiques coexistent sur un seul site.

Pour ce qui est du rôle des cadres, il faut noter que les textes insistent à la fois sur la responsabilité individuelle de chaque collaborateur sur sa santé et celle de ses collègues, mais aussi sur la nécessaire prise en compte des « capacités de l’intéressé à mettre en œuvre les précautions nécessaires » : le texte réaffirme ici une responsabilité particulière de la hiérarchie, appelée à superviser, encadrer, et le cas échéant assurer elle-même la mise en œuvre et le respect des procédures.

Cette responsabilité apparaît dès lors comme l’un des traits qui définissent la fonction d’encadrement, envisagée comme un mode d’intégration des actions préventives : « les actions de prévention ainsi que les méthodes de travail et de production mises en œuvre par l’employeur doivent garantir un meilleur niveau de protection de la sécurité et de la santé des travailleurs et être intégrées dans l’ensemble des activités de l’établissement et à tous les niveaux de l’encadrement ».

Article L. 230-1

I. Le chef d’établissement prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé des travailleurs de l’établissement, y compris les travailleurs temporaires. Ces mesures comprennent des actions de prévention des risques professionnels, d’information et de formation ainsi que la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés. Il veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes.

Sans préjudice des autres dispositions du présent code, lorsque dans un même lieu de travail les travailleurs de plusieurs entreprises sont présents, les employeurs doivent coopérer à la mise en œuvre des dispositions relatives à la sécurité, à l’hygiène et à la santé selon des conditions et des modalités définies par décret en Conseil d’Etat. (...)

III. Sans préjudice des autres dispositions du présent code, le chef d’établissement doit, compte tenu de la nature des activités de l’établissement :

Article L230-3

Conformément aux instructions qui lui sont données par l’employeur ou le chef d’établissement, dans les conditions prévues, pour les entreprises assujetties à l’article L. 122- 33 du présent code, au règlement intérieur, il incombe à chaque travailleur de prendre soin, en fonction de sa formation et selon ses possibilités, de sa sécurité et de sa santé ainsi que de celles des autres personnes concernées du fait de ses actes ou de ses omissions au travail.

Article L230-4

Les dispositions de l’article L. 230-3 n’affectent pas le principe de la responsabilité des employeurs ou chefs d’établissement.

Article L230-5

Le directeur départemental du travail et de l’emploi, sur le rapport de l’inspecteur du travail constatant une situation dangereuse résultant d’un non-respect des dispositions de l’article L. 230-2, peut mettre en demeure les chefs d’établissement de prendre toutes mesures utiles pour y remédier. Cette mise en demeure est faite par écrit, datée et signée et fixe un délai d’exécution tenant compte des difficultés de réalisation. Si, à l’expiration de ce délai, l’inspecteur du travail constate que la situation dangereuse n’a pas cessé, il peut dresser procès-verbal au chef d’établissement, qui est alors puni d’une peine de police.

On notera, à ce stade de la construction juridique, deux faiblesses du dispositif : il ne peut réellement fonctionner que dans les structures suffisamment importantes pour avoir un CHSCT (même si la création du CHSCT de site permet de corriger partiellement ce défaut), et les risques envisagés ici sont représentés sur le modèle du risque chimique. Il est évident, ici, que la construction des normes a été dictée par les affaires des années 1980 (amiante et sang contaminé), avec l’idée d’un risque accidentel, localisé et contrôlable, lié notamment à la présence ou à l’absence de certains éléments chimiques, de certaines procédures. Cette construction du risque apparaît aujourd’hui comme une première étape, faisant apparaître le risque au travail sous sa version la plus spectaculaire.

Le décret du 5 novembre 2001

Il faut attendre près de dix ans pour voir paraître le principal décret d’application de la loi de 1991 (Décret n°2001-1016 du 5 novembre 2001), qui en s’appuyant sur les travaux de différentes commissions institue l’une des pièces maîtresses du système de prévention : un « document unique » de référence, tenu à jour et encadré par un système d’obligations (notamment de mise à jour) dont le non-respect par l’employeur relève du pénal. Le système se durcit, et une attention particulière est portée à la récidive. La construction juridique continue ainsi d’insister sur les situations les plus dangereuses, mais en y portant remède elle donne à l’évaluation le caractère d’une pratique plus globale et plus systématique.

Article 230-1.

L’employeur transcrit et met à jour dans un document unique les résultats de l’évaluation des risques pour la sécurité et la santé des travailleurs à laquelle il doit procéder en application du paragraphe III (a) de l’article L. 230-2. Cette évaluation comporte un inventaire des risques identifiés dans chaque unité de travail de l’entreprise ou de l’établissement.

La mise à jour est effectuée au moins chaque année ainsi que lors de toute décision d’aménagement important modifiant les conditions d’hygiène et de sécurité ou les conditions de travail, au sens du septième alinéa de l’article L. 236-2, ou lorsqu’une information supplémentaire concernant l’évaluation d’un risque dans une unité de travail est recueillie.

Dans les établissements visés au premier alinéa de l’article L. 236-1, cette transcription des résultats de l’évaluation des risques est utilisée pour l’établissement des documents mentionnés au premier alinéa de l’article L. 236-4.

Le document mentionné au premier alinéa du présent article est tenu à la disposition des membres du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail ou des instances qui en tiennent lieu, des délégués du personnel ou, à défaut, des personnes soumises à un risque pour leur sécurité ou leur santé, ainsi que du médecin du travail.

Il est également tenu, sur leur demande, à la disposition de l’inspecteur ou du contrôleur du travail ou des agents des services de prévention des organismes de sécurité sociale et des organismes mentionnés au 4o de l’article L. 231-2.

Article 230-2

Il est ajouté après l’article R. 263-1 du code du travail un article R. 263-1-1 ainsi rédigé :

Art. R. 263-1-1. - Le fait de ne pas transcrire ou de ne pas mettre à jour les résultats de l’évaluation des risques, dans les conditions prévues à l’article R. 230-1, est puni de la peine d’amende prévue pour les contraventions de 5e classe.

La récidive de l’infraction définie au premier alinéa est punie dans les conditions prévues à l’article 131- 13 du code pénal.

Article 3

L’article R 263-1-1 du code du travail entrera en vigueur un an après la publication du présent décret.

La circulaire du 18 avril 2002

Quelques jours avant les élections, et conformément à l’article 3 du décret de 2001, une circulaire ministérielle précise les critères de contrôle du « document unique », en insistant notamment sur la traçabilité de l’évaluation, sur la nécessaire cohérence de l’analyse des risques et sur sa lisibilité - avec comme enjeu la mise en œuvre effective de la procédure, et notamment son appropriation par les représentants du personnel.

La circulaire atteste un changement de culture : aux textes précédents qui étaient centrés sur la définition de responsabilités, représentaient le risque sous une forme locale et accidentelle et insistaient à loisir sur le rôle de l’employeur, elle substitue une logique visant à établir une coopération et une prise en compte globale des conditions de travail.

Certes, son objet reste de préciser la mise en œuvre du « document unique », qui a été conçu au départ comme une possible pièce à conviction : en rappelant ainsi la nécessité d’assurer la « traçabilité » de l’évaluation, la circulaire conserve l’horizon d’un contentieux possible. La forme de l’inventaire répond à cet égard à un impératif de commodité, mais aussi à une logique juridique plus binaire : il s’agit de repérer rapidement, en cas d’accident, si un risque a été ou non identifié, et si oui quelles actions de prévention ont été menées. Cependant, en étant centrée sur les conditions d’élaboration du document, la circulaire en fait aussi le cœur d’une pratique participative, où il ne s’agira pas d’assigner l’employeur, mais de travailler avec lui à sécuriser les conditions de travail.

D’où l’insistance sur l’aspect pratique du document, qui doit regrouper sur un seul support les données de l’analyse des risques et avoir une présentation facilitant le suivi de l’analyse des risques. D’où aussi l’insistance sur une vision globale des risques, et un déplacement de l’attention, de l’environnement de travail à l’organisation du travail. Le document doit en effet intégrer un diagnostic systématique et exhaustif des facteurs de risques : l’ensemble des risques doivent être traités.

Le document doit être réalisé selon une approche globale et pluridisciplinaire : technique, médicale, mais aussi organisationnelle. La démarche de prévention se fonde sur des connaissances complémentaires tant au stade de l’évaluation des risques qu’à celui de l’élaboration d’une stratégie de prévention.

La procédure privilégie une approche participative : il est expressément suggéré que la formalisation du document doit contribuer au dialogue social en vue de la préparation et de la réalisation des mesures de préventions qui feront suite à l’évaluation des risques. Les actions de prévention sont conçues dans le dialogue social, elles ne peuvent avoir de sens que si les travailleurs - y compris les travailleurs temporaires - apportent leur contribution.

Le document trace un lien entre analyse des risques et mise en place d’un plan d’action. L’évaluation des risques n’est pas une fin en soi : elle trouve sa raison d’être dans les actions de prévention qu’elle va susciter. Ce sont ainsi cinq étapes qui se dessinent : préparer la démarche, évaluer les risques, élaborer un programme d’action, mettre en œuvre les actions, et enfin réévaluer les risques afin de mesurer les progrès réalisés.

On comprend dans ces conditions que les organisations syndicales sont appelées à prendre toute leur place dans ces processus, qui permettent une réflexion approfondie sur l’organisation du travail. Les envisager d’une façon minimaliste, comme une simple question de santé au travail, serait à cet égard bien mal servir les intérêts des salariés : les textes de loi nous appellent au contraire à considérer la prévention des risques à travers le dialogue social, et à y voir un nouveau moyen de faire entrer la démocratie dans l’entreprise.