Dans Le Nouvel Esprit du capitalisme (Gallimard, 1999), Eve Chiapello et Luc Boltanski repèrent la montée en puissance dans les organisations productives de figures comme l’autonomie, l’émancipation, ou encore l’injonction à être le créateur de son activité. Vous insistez quant à vous sur le fait que si ces figures peuvent avoir une traduction concrète, elles sont pour l’essentiel des représentations, et qu’il serait naïf de les prendre au pied de la lettre.

Mon intuition de départ est que ces représentations peuvent masquer d’autres formes de domination. Une domination invisible, en quelque sorte, ou rendue invisible par des représentations nimbées d’une aura libertaire. La réalité est tenace, en effet. Les enquêtes Conditions de travail de l’Insee nous enseignent que le nombre de salariés déclarant « avoir des personnes sous leur responsabilité » reste stable : aux alentours de 25% de la population active. Mais, et c’est un enseignement tout aussi important, ce ne sont pas les mêmes. Parmi ces « encadrants », on trouve proportionnellement de moins en moins de cadres, au sens statutaire du terme ; ils sont par ailleurs de moins en moins diplômés, et l’écart de rémunération dont ils bénéficient par rapport aux autres tend lui aussi à se réduire. Il y a ici une série de déplacements, dont un corollaire immédiat est un sentiment de déclassement.

Le travail de terrain que vous avez mené permet-il de mieux comprendre ces déplacements ?

A tout le moins, on peut saisir les mécanismes qui sont en jeu. J’ai surtout étudié le monde de l’industrie, mais tout donne à penser que certains des phénomènes que l’on peut y repérer sont également à l’œuvre dans les services.

Une esquisse de typologie fait apparaître quatre grandes catégories d’encadrants. Elles ne s’articulent pas les un