Epreuve de grandeur et épreuve de force

La notion d’épreuve est tendue entre deux conceptions. La première est l’« épreuve de grandeur » au sens que lui donnent Luc Boltanski et Laurent Thévenot. L’épreuve permet d’arrêter une dispute sur la « grandeur » (la valeur) relative des personnes dans une situation. Les protagonistes se mettent d’accord sur un dispositif qui leur permettra de l’éprouver et dont l’issue permettra de clore la dispute. L’épreuve est ce qui permet de comparer des individus singuliers au moyen de conventions d’équivalence, qui n’appréhendent qu’un seul aspect de leur existence. Telle personne est déclarée « équivalente » à telle autre, en ce qui concerne par exemple sa productivité au travail.

La deuxième notion est celle de « l’épreuve de force » conceptualisée par Bruno Latour. L’épreuve est ce qui se passe quand des flux de forces se rencontrent. Cette « épreuve » de force est aussi une « épreuve de réduction » : lequel va réduire l’autre, l’exprimer (être son « porte parole »), l’incorporer, le traduire ? Dans un tel monde, tout ce qui se passe est toujours plus ou moins local. On n’a pas la possibilité d’invoquer des valeurs à vocation plus générale, du droit, une norme. Une telle conception de l’épreuve permet de remettre en cause la croyance en la légitimité d’une épreuve donnée : tout n’est finalement que rapport de force, même le droit qui peut être invoqué par certains protagonistes est ramené à une arme parmi tant d’autres qui permet éventuellement de l’emporter. Celui qui est sorti perdant de l’épreuve a simplement été « traduit » par le gagnant, qui s’autorise maintenant à « parler en son nom », à le « représenter ».

D’une certaine façon, la plupart des contacts professionnels sont toujours susceptibles d’être envisagés