On dit souvent qu'il est impossible de réformer la France, qu'elle ne sait évoluer que par convulsions. Le livre d'Edmond Maire, au contraire, plaide pour « la réforme, passionnément », comme l'identifie le bandeau de l'éditeur autour du livre. Edmond Maire, secrétaire général de la CFDT pendant dix sept ans, puis dirigeant d'une entreprise de tourisme social pendant dix ans, a toujours représenté « l'esprit libre », même quand il devait calculer ses propos par souci de l'organisation ou de l'entreprise qu'il représentait.

Dans ce livre, Edmond Maire avance ses analyses du monde politique, économique et social, au travers de sa longue expérience dans ses fonctions successives. Sa dent est dure parfois, par exemple à l'égard de François Mitterrand, contre tous ceux dont les actes sont contraires aux discours, ou encore tous ceux qui continuent à incarner l'hégémonie du politique et ne reconnaissant pas les forces organisées hors d'eux, les « corps intermédiaires ». Il plaide la légitimité des acteurs sociaux, l'articulation nécessaire de l'action des pouvoirs publics et de la leur.

Certaines de ses formules décapent : « le syndicalisme n'est pas de gauche » ; « ontologiquement, le patronat n'est pas de droite ». « Dans la fonction publique, de nombreux militants syndicaux semblent prisonniers d'une image systématiquement négative du secteur privé (...). « Chez eux, la stabilité du statut se mue en congélation des acquis sociaux ». Certaines de ses phrases ont la force de maximes : « la puissance disproportionnée d'un petit groupe pose un problème de démocratie » ; « le syndicalisme français n'a jamais appelé mouvement social une pure prestation sans ambition »1 ; « tout monopole assèche la création et freine les adaptations » ; ou encore : « tout le monde ne peut décider de tout ». Ses analyses sont sans complaisance : « la fin du mythe communiste a mieux fait apparaître à la CFDT les limites de son projet social ». Les questions sont sans fard : « les intentions de la CGT subsisteront-elles si le PCF quitte le gouvernement ou si la gauche devient minoritaire ? ».

Mais en définitive, son livre est un plaidoyer pour la réforme, dans l'objectif de « bâtir une démocratie pluraliste, fondée sur la reconnaissance des différentes formes de représentation, sur la motivation et la capacité d'action de chacune de ses composantes ». Pour lui, la réforme est à faire ou à continuer partout, chez tous. Le syndicalisme : « son renouveau est possible, parce qu'ici et là il est déjà en chemin. Intégrer dans la démarche syndicale les attentes nouvelles des adhérents, leur évolution culturelle, leur désir d'autonomie et de solidarité de proximité, la volonté des femmes d'accéder aux responsabilités, c'est la condition première d'une reconquête syndicale du salariat (...). Il lui revient d'aller plus loin, de penser des réformes, de réaliser des changements sociaux, de rétablir la cohésion sociale ». « L'Etat a un devoir d'exemplarité », « un secteur aussi important dans la vie du pays que la fonction publique ne peut continuer à vivre à part, replié sur lui-même, coupé de la souche et de son dynamisme. Les citoyens attendent un service public vivant, réellement au service d'une société en pleine évolution ». Il appelle à « un dialogue social approfondi », expression qui revient plusieurs fois sous sa plume, à « une modernisation négociée » dans les entreprises. Car, dit-il, « le salarié n'est pas réductible à un statut de subordination. Il est aussi producteur impliqué positivement dans la marche de son entreprise ». Il demande aux dirigeants d'entreprise une éthique, une déontologie, dans leur management. L'objectif final, qu'il assigne à tous, est que « la société doit favoriser le développement personnel de chacun de ses membres et créer entre tous des solidarités ». Il sollicite les cadres dans cette perspective : « les cadres ne sont pas d'abord des donneurs d'ordre mais des « personnes-ressources », à l'écoute, capables de stimuler et d'encourager les changements, d'informer et de dialoguer, de développer la délégation, la subsidiarité, d'« oser la confiance » (...). Bien loin d'affaiblir le pouvoir des cadres, une telle attitude le conforte, le légitime ».

Il regarde aussi le rôle des associations dans l'optique d'un renouveau social - avec une définition neuve de celles qui opèrent dans la sphère marchande -. Il milite pour une Europe capable « d'impulser un avenir social porteur d'espoir ». Il pousse à la création d'emplois par de nouvelles activités, des nouveaux services aux personnes aux innovations technologiques, par la réduction du temps de travail et à « la personnalisation du temps libéré » qui ne peut exister que par la discussion de l'organisation du travail dans l'entreprise et sa modernisation ; il agit pour l'insertion sociale des exclus, contre la relégation dans les quartiers.

Dans un style rapide et vif, tout son livre invite à la rigueur (le récit en rappellera quelque souvenir aux anciens !), à l'ouverture, à la transparence, à la reconnaissance de l'autre, à la responsabilisation et à l'autonomie de chacun, à une société solidaire... en toute liberté de pensée.

1 : A propos de novembre-décembre 1995.