Force est de constater qu'une grande part des activités humaines consiste à émettre des jugements de valeur. Certains, philosophes comme Nietzsche ou Rawls, d'autres, sociologues comme Durkheim ou Weber, ont élaboré des modèles théoriques visant à expliciter les fondements de ces appréciations. Peut-on réconcilier l'axiomatique de ces théories avec l'observation empirique des comportements appréciateurs ? Question provocante posée par Raymond Boudon mais dont la portée est considérable puisqu'en démocratie l'exercice de la citoyenneté se fonde sur les positions « axiologiques »1 du sujet social. On trouvera donc rassemblés dans cet ouvrage les travaux menés par le sociologue sur le sens des jugements de valeurs, depuis la publication de son dernier livre sur le sujet2.

Les théories non cognitives de la valorisation, qu'elles soient d'obédience naturaliste, causaliste ou décisionniste, ont en commun de traiter comme une illusion le sens que l'individu attribue aux valeurs qu'il défend. Selon l'auteur, ces théories ont une influence disproportionnée par rapport à leur efficacité et leur validité scientifique. Leur influence sociale témoignerait de l'omniprésence dans la société contemporaine d'un relativisme qui tend à dévaloriser les idées de vérité et d'objectivité. R. Boudon y voit une validation de la conjecture de Tocqueville selon laquelle « la passion générale et dominante » des sociétés démocratiques pour l'égalité induit une conception relativiste du monde.

Mobilisant une tradition représentée entre autres par Montesquieu, Adam Smith, Tocqueville, Stuart Mill et Weber, Raymond Boudon développe dans ces textes un argumentaire visant à consolider la conjecture centrale de l'ouvrage selon laquelle les jugements de valeur se fondent sur des systèmes de raisons fortes. Les sciences sociales doivent selon l'auteur adhérer à un projet néo-évolutionniste qui puisse dans la tradition de l'individualisme méthodologique rendre compte « en compréhension » des comportements axiologiques par l'intermédiaire de processus de « rationalisation diffuse ».

1 : Relatif aux valeurs, à l'éthique.

2 : « Le juste et le vrai : études sur l'objectivité des valeurs et de la connaissance », Paris, Editions Fayard, 1995.