L’entreprise délibérée, voilà un titre bienvenu. Le livre cordonné par Mathieu Detchessahar, professeur en sciences de gestion à Nantes, met en perspectives deux dimensions trop peu abordées : le management du travail et la place du dialogue dans et sur le travail. A l’heure où certains vantent les mérites de « l’entreprise libérée » dont une des caractéristiques principales, rappelons-le, est de se passer des échelons intermédiaires de management pour rendre l’organisation « manœuvrable » et « agile », les auteurs réunis autour de Mathieu Detchessahar voient les choses autrement.
Dans toutes les transformations incessantes en entreprise, ce n’est pas d’un trop-plein de management que souffrent les salariés, mais d’une disparition de la fonction régulatrice du management au cœur du travail. Absorbés par des contraintes liées aux « machines de gestion »,
aux reportings, aux projets transverses et à une réunionite permanente, les managers se sont éloignés du travail réel. A tel point que les acteurs sur le terrain, loin de demander la suppression des managers de proximité, en appellent à leur retour sur la scène du travail. Mais, pour être utile notamment en termes de qualité du travail, ce retour doit s’accompagner d’une nouvelle approche nourrie par une attention au travail réel et une régulation sous forme de dialogue professionnel.
Certes, et le livre ne le cache pas, le dialogue dans le travail ne va pas de soi. Il faut pouvoir l’organiser pour qu’il produise des résultats. C’est un des mérites de ce livre que de donner à voir à travers quelques cas concrets (une clinique, un réseau bancaire, une association à caractère social…) les modalités possibles de mise en place d’espaces de discussion sur le travail. Des modalités qui montrent combien l’autorité managériale va de pair aujourd’hui avec une plus grande subsidiarité, c’est-à-dire avec de vraies marges de manœuvre laissées aux acteurs tout en aidant à la régulation.
Au fond, ce livre nourrit opportunément une vraie réflexion « politique » sur l’entreprise et le travail. Si le modèle de « l’entreprise libérée » s’appuie sur une conception de l’autonomie fondée sur un individualisme qui fait disparaître les niveaux et corps intermédiaires, Mathieu Detchessahar réhabilite les « dépendances assumées », le collectif et la construction de compromis. Avec un double enjeu :
coopérer et faire société. On retiendra le rôle du management intermédiaire pour faire vivre la coopération à travers une communication du quotidien au travail. Dans sa conclusion, le chercheur souligne l’importance du dialogue professionnel, y compris du point de vue de la société. Par la délibération dans l’entreprise comme dans la société, il s’agit de construire du commun.