Philosophie du travail[1] a pour ambition de définir le travail et de présenter ses enjeux, ses contradictions, ses questionnements et ses évolutions pour l’humain et pour la société. Cette exploration passe par la lecture et l’analyse de textes philosophiques qui couvrent la période de l’ère industrielle à nos jours. Pour commencer, l’ouvrage s’arrime à une définition du travail la plus précise possible. Le travail se rapproche mais se différencie de l’emploi (forcément rémunéré), de l’activité (qui concerne aussi bien les loisirs), de la profession ou du métier (plus essentialisants). En ce qu’il interagit avec un système, une organisation, un groupe, le travail confère à la personne une identité et une reconnaissance sociale. L’introduction pose trois caractéristiques distinctes du travail : 1- Il relève de la production (poïesis), il a une autre fin que lui-même ; 2- Il a une dimension technique, il utilise efficacement des instrumentalités ; 3- Il a une dimension séquentielle, temporelle, il est un processus (Marx).
Le travail transforme et forme le sujet. Lorsqu’il participe au développement des compétences ou des relations sociales et qu’il est orienté vers un objectif sociétal, il a du sens et permet au sujet de s’épanouir, de s’individuer (Dejours). Parfois, cependant, le prend la forme d’une aliénation, d’une perte de soi. Ce phénomène advient dans des cas de parcellisation du travail, lorsque le sujet est coupé de l’œuvre produite (Arendt), de son effet et de son utilité sur le monde. Le phénomène des bullshit jobs, évoqués au début de l’ouvrage, est une des formes contemporaines de cette perte de sens.
L’ouvrage se resserre ensuite autour de trois débats philosophiques : 1- Travail et nature humaine ; 2- Travail, éthique et psyché humaine ; 3- Travail et (in-)justice. Concernant le travail et la nature humaine, Hegel nous rappelle que le travail, en répondant à nos besoins individuels – ce qu’il nomme l’« égoïsme subjectif » –, contribue à la satisfaction générale des besoins de tous et à la richesse générale, durable. Vu ainsi, le travail représente aussi bien un lien à soi qu’un lien à la société, dans une dynamique anthropologique aussi essentielle que constructive. La notion de profession chez Dewey apporte quant à elle des éclaircissements nécessaires sur ce qu’est un travail éthique, épanouissant, et ce, avec le pragmatisme et le bon sens qu’on lui connaît. Pour l’auteur, il s’agit de trouver l’équilibre entre les talents d’un individu et les besoins de la société : « découvrir ce qu’un individu est capable de faire et lui fournir l’occasion de le faire est la clef du bonheur. […] Avoir une occupation qui convient signifie simplement que les aptitudes d’une personne s’exercent harmonieusement avec le minimum de friction et le maximum de satisfaction. Pour les autres membres d’une communauté, cela signifie, bien entendu, que cette personne leur rend les services les meilleurs dont elle est capable ». Ceci ne peut se faire sans une éducation qui rend libre et ouvert – c’est-à-dire une éducation à l’esprit critique – grâce, en particulier, aux matières littéraires et réflexives qui permettent à l’individu de choisir librement, et de saisir le sens et l’impact de son métier, aussi technique soit-il. Enfin, le dernier débat sur « travail et justice » aborde les divisions genrées du travail. Le travail du care, parfois gratuit, toujours essentiel, se targue de valeurs de réparation, de construction et d’élaboration, se distinguant d’un modèle productiviste, accumulateur et destructeur. Partant du concept de centralité du travail exposé par Honneth (d’après Marx), quels liens d’épanouissement entre vie professionnelle et vie personnelle la personne peut-elle envisager ? Celui-ci semble passer par l’autonomie qui s’exerce dans la vie professionnelle, mais aussi en dehors de la vie professionnelle, et interroge, quoi qu’il en soit, le rapport à l’autorité dans le travail.
[1]- Textes de : E. Anderson, S. de Beauvoir, J. Dewey, J. Habermas, G.W.F. Hegel, A. Honneth, K. Marx, M. Mies et A. Schwartz.