Le regard que je porte sur les transformations du travail des agents de Pôle emploi à l’occasion des nouvelles orientations managériales développées dans les derniers plans stratégiques de cet Etablissement public, est celui d’un cadre – manager, engagé syndicalement à la CFDT, à Pôle emploi et formé à l’approche ergologique.
L’ergologie est une démarche s’appuyant sur les acquis de l’ergonomie francophone développée par le philosophe Yves Schwartz ; elle vise à contribuer à l’analyse des situations de travail en vue de mieux les comprendre et les transformer. Il s’agit de mettre en dialogue les savoirs institués, académiques, les pratiques et les choix des acteurs .
Ma participation à un travail de recherche sur les plus ressentes de ces transformations managériales dans le cadre d’une proposition de l’Institut d’Ergologie - Aix en Provence - fortement appuyée sur de l’observation de terrain en agence m’a permis de mesurer combien ces transformations impactent le champ des revendications de la CFDT sur le plan de l’intervention sur le travail. A la veille de l’ouverture d’une nouvelle négociation en 2021 sur la Qualité de Vie au Travail, au sein de Pôle emploi, il est plus que jamais nécessaire de porter un regard critique sur le contenu de ce type d’accord quant à la prise en compte réelle du travail.
La recherche menée de janvier 2017 à juin 2018 visait à analyser les transformations à l’œuvre dans l’activité des conseillers à l’emploi et des managers.
L’étude de terrain était destinée à identifier l’impact du développement d’un accès facilité au conseiller dans l’interaction conseiller/demandeur et à appréhender le fonctionnement et le positionnement d’espaces internes de parole entre managers et conseillers pour repérer les ancrages, les enjeux et les difficultés éventuelles du management de proximité des équipes locales de direction.
La recherche proposée supposait pour nous la mise en œuvre de la démarche ergologique basée sur un postulat liminaire : il est impossible de connaître une situation de travail en faisant appel uniquement à des savoirs experts extérieurs aux situations vécues. Produire des connaissances opératives implique dès lors de faire s’exprimer l’expérience des acteurs du travail eux-mêmes dans un dialogue avec les chercheurs académiques issus de plusieurs disciplines.
Pour ce faire, il faut leur permettre de mettre en mots et de formaliser leur expérience du travail. La première étape de la recherche visait ainsi à construire le dispositif d’analyse de l’activité des conseillers emplois à partir de la démarche ergologique.
Cette démarche propose en effet un dispositif épistémologique original de coproduction des connaissances entre chercheurs et acteurs du travail : les groupes de rencontres du travail (GRT),
Les GRT en tant que dispositif de recherche et d’intervention ont été implémentés dans des hôpitaux publics par Stéphanie Maillot en 2007. Ce dispositif se distingue des groupes d’analyse de pratiques ou des groupes de parole par leurs postulats épistémologiques et par le recours à des outils méthodologiques développés par l’ergonomie de l’activité. Pour Stéphanie Maillot, un groupe de rencontres du travail a pour visée non seulement la compréhension des situations, leur analyse, mais encore leur transformation effective. La nuance avec des interventions plus classiques est délicate. En effet, toute intervention en milieu de travail génère, par définition, des transformations avec des implications plus ou moins importantes pour les acteurs du travail. Les GRT prennent quelques distances avec le déroulement classique des interventions. S’ils se nourrissent des méthodologies développées par ailleurs (chroniques d’activité, entretiens collectifs, analyse du discours…) l’activité spécifique d’un GRT consiste en la mise en débat des savoirs d’expérience et des savoirs institués (formalisés par les disciplines académiques). De ce dialogue naît des éléments de savoir nouveaux sur l’activité. Cela implique pour le “détenteur des savoirs institués” (en l’occurrence pour la recherche Pôle emploi l’équipe de recherche) de se mettre en apprentissage de la vie des autres et pour le “détenteur des savoirs investis” de consentir un certain effort de neutralisation de son vécu. Ainsi ce qui différencie un groupe de rencontres du travail de simples groupes de parole sur le travail, c’est le caractère dynamique de “co-production”, de “co-création” d’éléments de savoir nouveaux dont la part d’inédit rejaillit sur ce qui est.
Notre étude réalisée en régions PACA et Occitanie a permis de pointer plusieurs éléments à destination de la direction de Pôle emploi quant à ces nouvelles pratiques managériales et ce au regard de l’activité des conseillers et des membres des équipes locales de direction.
Nous avons mis en avant l’importance d’une mise en cohérence des différents types de marges de manœuvre en particulier celles de l’organisation du travail des conseillers et celles de la déconcentration des décisions sur les territoires et agences ; l’importance à donner à la transformation du travail du conseiller sur la partie des arbitrages permanent face aux différentes formes et sources des sollicitations de services ; l’importance d’une réactualisation de l’approche de l’activité de travail des conseillers par les managers de proximité permettant une réaménagement des espaces et outil de la parole avec les conseillers.
Les militants de la CFDT, organisation sensible à une plus grande place donnée à la « participation » des professionnels dans la définition et l’organisation des services aux usagers, se doivent d’être formés à une approche méthodologique du travail en tant qu’acteurs aux côtés des salariés des transformations de l’activité. Nous pensons que l’ergologie est une opportunité au profit d’une telle intervention, en particulier dans le champ d’un service public où les valeurs en acte sont en permanence convoquées dans les arbitrages qu’impose au quotidien l’activité professionnelle.