Il y a déjà deux décennies, j’ai écrit dans un article que le travail respectait de moins en moins l’unité de temps et de lieu de la tragédie classique. Au temps de présence, encadré par lois et règlements, s’ajoutait déjà à l’époque un deuxième temps, celui passé, en d’autres lieux et à d’autres moments, à communiquer par téléphone et aujourd’hui Internet avec clients, fournisseurs ou collègues. À ce temps de travail marquant le début d’une ubiquité d’action, s’ajoutait un troisième, de loin le plus déterminant pour la vie de l’entreprise et échappant à toute planification : le temps de création. Les meilleures idées ne nous viennent pas aux heures légales de travail et dans nos bureaux, nos ateliers, là où nous sommes sous la pression de tâches immédiates, des questions des collègues, des clients. Le temps de la création déborde nécessairement sur le temps de vie privée.

Mon article me valut un courrier intéressant d’un médecin du travail. Il s’agissait d’une femme, d’accord sur le fond mais me reprochant avec raison d’avoir écrit en ne pensant visiblement qu’aux cadres d’entreprises techniquement avancées. Elle me rapportait que trois ouvrières d’une usine de conserves près de Caen étaient venues se plaindre : elles avaient l’habitude de réfléchir pendant leur travail à la gestion de leur vie familiale tout en remplissant des boîtes de haricots. Or, depuis qu’on leur avait demandé de « faire de la qualité », elles se surprenaient le dimanche à réfléchir au beau milieu de leur famille pour trouver comment mieux faire à l’usine.

Un management par la contrainte contre-productif

Cette anecdote répond à une question fondamentale : de qui une entreprise et un territoire ont-ils besoin pour créer de la valeur et se développer ? Tout se passe comme si la majorité des décideurs partageaient la réponse de