Ces accords sont un outil juridique, mais constituent avant tout un outil de dialogue social visant à améliorer la santé et la sécurité ainsi que les conditions de travail. Mais alors quel rôle peuvent jouer ces textes dans les organisations de travail ? Je me suis intéressée à ce sujet dans le cadre de mon stage de fin d’études au pôle Travail de la Dreets Bretagne (Direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités). Ce stage a été l’occasion de réaliser une analyse qualitative à partir d’accords d’entreprise sur la qualité de vie au travail conclus en Bretagne entre 2017 – qui correspond à l’entrée en vigueur de l’obligation de publication des accords d’entreprise suite à la loi du 8 août 2016 – et 2022. Cette étude s’est centrée sur deux secteurs d’activité : l’industrie agroalimentaire et les activités du care. Le travail sur les accords signés dans ces deux secteurs d’activité m’a conduite à rencontrer les acteurs de six entreprises (directeurs généraux, directeurs des ressources humaines et délégués syndicaux).

La notion de qualité de vie au travail a émergé dans les années 1970-1980 et visait la conciliation de la satisfaction des travailleurs et la productivité pour l’entreprise. L’Accord national interprofessionnel (ANI) du 19 juin 2013, intitulé : Vers une politique d’amélioration de la qualité de vie au travail et de l’égalité professionnelle, a constitué le point de départ de ma réflexion. Cet accord est en effet un des premiers textes à poser une définition de la notion de qualité de vie au travail et à proposer une méthode aux acteurs de l’entreprise pour s’approprier cet enjeu. La QVT y est définie comme « un sentiment de bien-être au travail perçu collectivement et individuellement » et consiste à « faire un travail de qualité dans de bonnes conditions ».

La QVT – expression récemment remplacée par l’acronyme QVCT par la loi Santé au travail du 2 août 2021 suite à l’ANI du 9 décembre 2020 – est un objet de négociation collective d’entreprise. L’article L. 2242-1 du Code du travail fait de la QVCT un item de la négociation annuelle obligatoire à côté de la négociation sur l’égalité professionnelle. L’article L. 2242-17 (dispositions supplétives) dresse quant à lui la liste du contenu de cette négociation : articulation entre vie privée et vie professionnelle, objectifs et mesures permettant d’atteindre l’égalité professionnelle, mesures permettant de lutter contre toute discrimination, mesures relatives à l’insertion professionnelle et au maintien dans l’emploi des travailleurs handicapés, modalités de définition d’un régime de prévoyance, exercice du droit d’expression directe et collective des salariés, modalités du plein exercice par le salarié du droit à la déconnexion, mise en place par l’entreprise de dispositifs de régulation de l’utilisation des outils numériques, et enfin, pour les entreprises de plus de cinquante salariés, les mesures visant à améliorer la mobilité des salariés.

Pour mener cette étude, j’ai choisi de me concentrer tout d’abord sur le secteur de l’industrie agroalimentaire (IAA). En effet, la Bretagne constitue le premier bassin d’emploi agroalimentaire en France. L’agroalimentaire est le premier secteur d’activité industrielle en Bretagne et représente plus de 70 000 emplois salariés. Dans ce secteur, les DRH que nous avons rencontrés nous ont fait part d’un manque de main-d’œuvre, d’un déficit conjoncturel de candidats et d’un recours grandissant à l’intérim. Cette situation pose problème et se conjugue avec un fort taux d’accidentologie et une hausse de l’absentéisme. De récentes études concernant le secteur agroalimentaire[1] ont mis en évidence des leviers d’attractivité qui concernent principalement les conditions d’emploi (formation professionnelle, type de contrat, horaires, logement, transport, etc.) et non les conditions de travail. Or, dans une approche systémique, il faudrait que ces deux aspects soient traités pour espérer améliorer la situation de la filière.

La base d’une démarche QVCT est de partir du travail réel, tel qu’il est réalisé par les salariés

Le second secteur, celui de la santé et du soin (care), a retenu mon attention quant à la particularité des logiques à l’œuvre pour les salariés : ceux-ci sont confrontés au quotidien à la douleur et parfois à la mort, et sont en contact direct avec les patients et les familles. Les soignants sont donc exposés de façon importante aux risques psychosociaux (RPS) : ils sont impliqués émotionnellement et des conflits de loyauté entre ce qu’ils voudraient faire et ce qu’ils font réellement avec les moyens dont ils disposent peuvent apparaître. Dans ce secteur, je me suis rendu compte que les démarches QVCT étaient parfois abordées en parallèle de démarches « bientraitance » mises en avant par les structures, démarches intéressantes car se situant à la jonction entre la prise en compte du bien-être du patient et celui du soignant. Ce type d’approche est plutôt récent, et a fait suite à la publication de l’enquête de Christophe Castanet en 2022, Les Fossoyeurs, et des débats de société qui en ont découlé. Dans ces deux secteurs, les conditions de travail sont difficiles (port de charges et travail de nuit notamment). « La prise en compte de l’allongement des carrières – suite au report de l’âge légal de départ à la retraite – est indispensable », nous a confié un délégué syndical d’une association spécialisée dans l’hébergement médicalisé pour enfants handicapés. En effet, il semble nécessaire de se pencher sur le travail et ses conditions d’exercice dans une logique de prévention pour permettre à tous les salariés de se maintenir en emploi dans de bonnes conditions.

Le secteur du care a bénéficié de dispositifs mis en place notamment par l’Aract (Agence régionale pour l’amélioration des conditions de travail) et l’ARS pour travailler sur la QVT. Ces dispositifs ont notamment pris la forme de « clusters QVT », dont a pu faire partie une association d’activités hospitalières que nous avons rencontrée. Il s’agit également des enveloppes Clact (Contrats locaux d’amélioration des conditions de travail, cofinancement pour le recours à un cabinet de conseil) attribuées à un établissement de santé spécialisé en cancérologie avec lequel nous avons pu échanger. Ces dispositifs constituent une porte d’entrée de la démarche et les accords d’entreprise étudiés dans ce secteur sont assez complets, la réflexion semble plus avancée sur le sujet de la QVCT. Cependant, l’Anact notamment met en avant le fait que si ces dispositifs peuvent constituer une porte d’entrée dans la démarche, les entreprises doivent ensuite être autonomes et veiller à ce que la démarche ne s’essouffle pas.

Les entreprises du secteur de l’IAA – et plus précisément celles sur lesquelles nous avons travaillé – n’ont pas fait partie de tels groupes de travail et de réflexion sur le sujet. Nous avons également remarqué que les accords QVCT de ce secteur sont moins développés dans l’ensemble, et les différentes composantes de la QVCT sont abordées de façon séparée (négociation « à tiroirs ») et non de façon intégrée. Les démarches QVCT dans le secteur de l’IAA sont en grande majorité impulsées par les groupes (nationaux ou internationaux) auxquels appartiennent ces entreprises dans une logique de normalisation et de ruissellement. Or justement, en la matière, cette méthode ne semble pas correspondre avec la logique de la QVCT qui impose de partir du travail réel et du ressenti des salariés. Ces méthodes venues d’en haut affichent de faibles taux de participation des salariés.

Différents acteurs des entreprises que nous avons rencontrés nous ont fait part de la technicité de la notion et de la difficulté à cerner le sujet. Un délégué syndical considère également que le manque de temps et de connaissances dû à un manque de formation complique les négociations. Il constate que les relations sociales sont marquées par un désintéressement du collectif au profit des intérêts individuels et cette tendance occulte les réflexions sur l’organisation du travail. Sur ce sujet, Jean-Emmanuel Ray, juriste spécialisé en droit du travail, s’inquiète de l’individualisation des rapports de travail : il met en évidence la transformation du droit du travail en un droit de la personne au travail et montre que les collectifs de travail sont en difficulté. Cette tendance peut par exemple être illustrée par l’échec en pratique de certaines actions visant à améliorer la communication au sein des entreprises qui ont pris fin dans deux structures rencontrées en raison de la trop faible participation des salariés.

Tous les délégués syndicaux n’ont pas les ressources nécessaires pour mener ces démarches QVCT seuls ; tous les acteurs de l’entreprise (salariés inclus) doivent y participer.  La pandémie de Covid-19 a conduit à aménager le travail de façon technique et pratique (notamment avec le télétravail). On a donc observé une hausse du nombre d’accords conclus suite à la crise dans les entreprises[2]. Cependant, les négociations n’ont pas permis la réflexion de fond sur le travail en lui-même, en raison notamment de l’urgence à laquelle les organisations ont dû faire face. Le dialogue social de ces trois dernières années n’est donc pas représentatif de ce qu’il aurait pu être sur ce sujet sans la crise et certaines démarches initiées avant la crise ont été ralenties ou stoppées du fait de l’épidémie.

Comme l’avait déjà mis en évidence l’Anact en 2019[3], le terme QVT a parfois été détourné des objectifs initiaux que l’ANI de 2013 avait posés. Dans certains accords QVT, les « à-côtés », c’est-à-dire des services facilitateurs ou actions périphériques qui ne se centrent pas directement sur le travail, prennent de la place. Nous avons par exemple relevé, dans une entreprise de l’agroalimentaire que nous avons visitée, la mise à disposition d’un fruit deux fois par mois pour les salariés. Nous avons également vu se multiplier des séances de massages ou d’ostéopathie sur le lieu de travail pour les salariés. Certaines mesures relèvent davantage de la santé individuelle des individus et s’apparentent à celles des accords « comportementalistes » relevés par Franck Héas[4]. Ces actions peuvent parfois sembler très éloignées des problématiques que rencontrent les entreprises (organisation du travail, conditions de travail et sécurité par exemple) mais elles contribuent à l’employeurabilité, c’est-à-dire la capacité des entreprises à être attractives pour les salariés.

La QVCT ne doit pas se résumer à du « hors-travail », elle doit également permettre un véritable recentrage sur le travail, ses conditions d’exercice, son organisation, sur le sens donné au travail et enfin sur la santé au travail, donnée non négligeable. Il convient également de prêter attention au recours à des cabinets de conseil et à certains consultants extérieurs qui peuvent transformer les démarches QVCT en des actions de « bien-être » qui omettent de s’intéresser au travail. De plus, les enjeux de santé et de sécurité au travail restent peu abordés en lien avec la QVCT.

La base d’une démarche QVCT est de partir du travail réel, tel qu’il est réalisé par les salariés. Le référentiel QVCT de l’Anact[5] à destination des directions et des représentants du personnel propose des idées clés, des repères méthodologiques ainsi que des sujets à traiter pour déployer les démarches QVCT dans les entreprises. Ce guide rappelle également que les actions périphériques au travail ne permettent pas de progresser durablement en matière de QVCT. Nous ne pouvons que conseiller aux entreprises d’instaurer et de faire vivre le dialogue professionnel, c’est-à-dire la participation directe des salariés, les échanges entre les salariés et avec les managers (réunions, points d’équipe, groupes de travail, entretiens professionnels, etc.)[6]. Les espaces de discussion sur le travail peuvent également être un moyen d’inclure les questions d’organisation du travail, de contenu et de sens au travail.

Dans tous les cas, la formation de tous (managers et salariés) semble indispensable pour partir d’une base commune et partager les mêmes connaissances. Cet effort de formation pourra, on l’espère, faire évoluer la culture de certaines organisations de travail et permettre la prise en compte des enjeux de qualité de vie et de conditions de travail.

[1]- Étude 360° évoquant les leviers d’attractivité de la filière agroalimentaire bretonne (menée en 2023 par la Région Bretagne et la Dreets Bretagne) ; étude Dictia sur les besoins en compétences et formations des IAA (Diagnostic des compétences territoriales pour l’industrie agroalimentaire) :/www.ariasud.com/wp-content/uploads/2023/06/France-2030-DICTIA-05052023-V2.pdf [2]- La négociation collective d’entreprise en 2021, Dares Résultats, no 33, 2023. Disponible à l’adresse : https://dares.travail-emploi.gouv.fr/publication/la-negociation-collective-dentreprise-en-2021 [3]- Anact, Un cap à tenir. Analyse de la dynamique de l’Accord national interprofessionnel Qualité de vie au travail - Égalité professionnelle du 19 juin 2013, 21 février 2019. [4]- Franck Héas, « La négociation d’entreprise sur la qualité de vie au travail », Droit Social, 2019, p. 907. [5]-www.anact.fr/referentiel-qualite-de-vie-et-des-conditions-de-travail [6]- Définition issue du rapport de Réalités du dialogue social, Le dialogue social au service de la qualité du travail, octobre 2023.