Depuis plusieurs années, la fonction publique connaît un cycle incessant de réformes dont le dernier acte majeur est la loi du 6 août 2019, portant transformation de la fonction publique, et sa kyrielle d’ordonnances et de décrets déjà publiés ou en cours de rédaction. Tout serait ainsi dit et nombre de domaines passent sous les fourches caudines de cette frénésie réformatrice ! Réformes du dialogue social et des instances représentatives du personnel, du statut des contractuels, des carrières publiques, des écoles de service public, de la formation professionnelle, de la haute fonction publique, de l’État, etc. Et la liste n’est, bien entendue, pas exhaustive.

Ainsi, la rénovation du dialogue social, initiée par cette loi, réinterroge la posture des cadres tout comme celle des organisations syndicales. La fusion des comités techniques et des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) en comités sociaux (d’administration, d’établissement ou territoriaux, selon le versant de la fonction publique), les nouvelles compétences des commissions administratives paritaires ainsi que l’instauration des lignes directrices de gestion comme nouvel outil de gestion des carrières publiques, appellent à de nouveaux challenges managériaux et, pour la CFDT, à une mise en pratique de revendications qu’elle porte depuis nombre d’années, notamment sur la négociation collective et le renforcement du contractuel dans le champ du dialogue social public.

Le syndicalisme CFDT, fortement engagé en faveur de la signature d’accords de méthode, s’inscrit pleinement dans cet immense défi collectif pour que la pratique de la négociation collective devienne un mode quotidien de régulation sociale au plus près des problèmes à résoudre, tout en répondant aux attentes d’efficience des organisations de travail et de qualité de vie au travail des agents. Il n’en reste pas moins que la formation des acteurs de la négociation est un enjeu majeur pour réussir, ensemble, cette mutation du dialogue social. Dans le même temps, l’image du service public véhiculée par les politiques et les médias tend à conforter une nécessité « absolue » de réformes en véhiculant une vision purement gestionnaire de l’action publique, en l’affichant comme un coût à l’inflation immaîtrisable gommant toutes notions d’intérêt général et de bien commun, fondements de notre pacte social républicain.

Pourtant, la crise sanitaire liée à la Covid-19 a mis en avant ces femmes et ces hommes qui incarnent, par leur engagement et leur travail, les valeurs du service public à la française d’égalité, de continuité et d’adaptabilité. En effet, comment ne pas être admiratif et reconnaissant envers ce personnel hospitalier qui œuvre auprès des patients avec des conditions de travail dégradées par la baisse constante des effectifs et des moyens que commande l’orthodoxie budgétaire des gouvernements successifs se traduisant, notamment, par la suppression de lits et de services ? Comment ignorer l’engagement au quotidien des agents territoriaux au plus près des populations afin d’assurer l’accueil de nos enfants dans les crèches ou en milieu scolaire, l’accompagnement de nos aînés en perte d’autonomie, le soutien des plus fragiles au sein des services sociaux, la propreté et la salubrité de nos espaces publics, et tant d’autres missions du service public local ? Et que dire du service public de l’enseignement, de la recherche, de la police ou de la justice et de toutes les missions exercées par les agents de l’État pour garantir le mieux vivre ensemble et faire société ? Certains évoqueront alors la sur-administration de notre pays quand d’autres, dans le même temps, mettront en lumière la chance de pouvoir disposer de ce bien commun, de cette richesse humaine. Tout est dans la nuance et placé sous le prisme d’une vision quelquefois sélective ! Aussi, dans l’ouvrage L’autre trésor public[1], la CFDT Fonctions publiques donne la parole aux agents à travers 30 récits qui dessinent un portrait bien éloigné de l’image galvaudée de la fonction publique. Sans grand discours, l’action des agents des trois versants de la fonction publique démontre leur « utilité sociale », expression de la solidarité nationale. Notre bien commun, ce sont ces services publics, au service de tous et des plus fragiles, qui atténuent quotidiennement la brutalité d’un système économique libéral.

Comme le démontre l’enquête qualitative menée par l’institut Kantar pour le compte de la CFDT Cadres auprès d’un panel de cadres des trois versants de la fonction publique, ces derniers participent pleinement à l’exercice d’un service public de qualité[2]. Malgré des conditions de travail souvent difficiles, les cadres de la fonction publique restent très liés aux valeurs du service public. Ils expriment leur fort attachement à servir l’intérêt général et l’action publique, ciment de notre démocratie sociale. Ils s’engagent dans l’innovation et la modernisation des services publics par de nouvelles formes de travail et de management. Leur mission d’intérêt général est pour eux la raison d’être de leur motivation. Qu’ils soient titulaires, contractuels, jeunes ou plus avancés dans la vie active, les agents sont attachés à rendre un service public de qualité, vecteur de cohésion sociale. Cependant, le sens dans l’action, dans l’adaptation des formes de travail et des organisations reste une question centrale. En effet, les agents de la fonction publique sont majoritairement de fervents acteurs de la modernisation des services publics dès lors que les réformes engagées donnent sens à la demande sociale exprimée par les citoyens usagers du service public. Ils s’engagent et savent remettre en cause leurs pratiques afin d’innover tant que les moyens sont en cohérence avec les objectifs à atteindre. C’est justement parce que les réformes sont souvent mal comprises, ou perçues comme un affaiblissement de ce qui fonde un service d’intérêt général, que les agents de la fonction publique souhaitent plus de dialogue et d’écoute pour réussir ensemble les nécessaires adaptations du service public.

Être associés et écoutés, discuter, reconnaître l’utilité de tous à agir au regard de leurs compétences, de leur responsabilité et de leur place dans la hiérarchie administrative, reste un souhait porté par les agents et cadres du service public. Car si les agents et cadres du secteur public sont fortement impliqués dans l’exercice de leurs missions, ils n’en expriment pas moins le besoin d’une réelle reconnaissance d’utilité sociale de leur métier vécu comme un engagement au service des populations.

Cette reconnaissance est souhaitée à travers une aspiration à de meilleures conditions de travail avec une réaffectation, au sein des organisations, des moyens dégagés par la modernisation des méthodes de travail dont les cadres reconnaissent le bien-fondé et la nécessité. De même, les agents publics confirment l’importance de la confiance et de l’autonomie dans la qualité de vie au travail et dans la satisfaction du travail lui-même. La CFDT, porteuse des valeurs d’émancipation des travailleurs, revendique un management par la confiance plutôt que par le contrôle, et l’instauration de marges de manœuvres suffisantes pour que les cadres puissent exercer de façon autonome. Il s’agit de donner aux cadres et agents de la fonction publique les moyens nécessaires à la bonne réalisation de leur mission de service public, de reconnaître leur engagement pour un service public de qualité, de favoriser les carrières publiques et la mobilité tant des agents contractuels que titulaires, d’agir pour de meilleures conditions de travail, pour un management participatif, à l’écoute et respectueux de chacun, et de revaloriser les salaires pour une fonction publique attractive, capable de fidéliser ses talents.

[1]-L’Atelier, Paris, 2018.

[2]- « Les attentes des cadres de la fonction publique », déc. 2021.