L’univers de travail des collectivités territoriales[1] est assez méconnu. Peut-être parce que l’on connaît surtout les élus, celles et ceux qui décident, passent des commandes…  Peut-être aussi parce que, dans le domaine de la formation notamment, les collectivités territoriales – en particulier les conseils régionaux – sont surtout identifiées pour le financement et l’organisation des formations pour demandeurs d’emploi. Il est toujours compliqué de trouver des passerelles entre les deux dimensions « carrière » et « professionnel », notamment la reconnaissance de l’expérience professionnelle pour l’évolution de carrière ou bien la prise en compte de titres ou diplômes pour les épreuves de concours. À l’inverse, hors obtention ou non d’un concours, les compétences développées dans le cadre de préparations souvent longues et ardues ne sont ni répertoriées, encore moins prises en compte. Au final c’est un système unique, à la fois protecteur et enfermant, lourd et innovant. Un système qui finalement ne règle pas plus que dans le secteur privé le problème central de la formation des adultes : dans la fonction publique comme dans le secteur privé, ce sont celles et ceux qui sont le plus formés et qualifiés qui accèdent le plus à la formation.

Le paysage de la formation pour les agents territoriaux est constitué d’un organisme de formation de référence, le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT), et d’une formation qui marche sur deux jambes : une jambe statutaire et une jambe professionnelle. Il faut y ajouter une troisième jambe récente, le financement de la formation des 15 000 apprentis dans les collectivités locales, et une quatrième plus petite, la formation de demandeurs d’emploi à certains métiers territoriaux – secrétaire de mairie en particulier – ainsi que la formation d’agents des maisons France Services. L’activité principale du CNFPT est la formation des agents territoriaux recrutés comme fonctionnaires ou contractuels par des collectivités locales.

En 1983, cette formation a d’abord été conçue en lien avec le statut, avec des formations pour préparer les concours d’accès d’une part et des formations pour préparer à la carrière de fonctionnaire d’autre part. La formation continue professionnelle pour toutes les catégories d’agents est venue compléter les formations purement statutaires.

La loi de 2007 marque un tournant important avec l’introduction du principe de la formation professionnelle tout au long de la vie. Cette loi va introduire des nouveautés en référence à la loi de 2004 sur la formation dans le secteur privé, notamment la VAE et le bilan de compétences ainsi que le droit individuel à la formation. La loi et ses décrets d’application ont rééquilibré les obligations de formations entre catégories, notamment en faveur de la catégorie C, et les ont mieux réparties tout au long de la carrière. Certains agents ont des obligations complémentaires liées à l’exercice du métier, notamment les policiers municipaux, les sapeurs-pompiers et les cadres A+. C’est un grand changement pour le CNFPT car, jusqu’alors, les formations statutaires suite au recrutement comme fonctionnaire étaient réservées aux seuls agents des catégories B et A qui représentent un quart des agents des collectivités… La loi de 2007 distingue cinq types de formation :

- « La formation d’intégration et de professionnalisation » qui correspond à de la formation obligatoire pour tout agent fonctionnaire, lors de son entrée en fonction puis tout au long de son parcours.

- « La formation de perfectionnement » qui correspond à la formation continue professionnelle.

- « La formation de préparation aux concours et examens professionnels de la fonction publique » pour permettre les évolutions de carrière.

- « La formation personnelle suivie à l’initiative de l’agent ». Dans cette catégorie sont classés les congés VAE, pour bilan de compétences, et le congé de formation professionnelle (CFP, qui ressemble à l’ex-congé individuel de formation – CIF – du secteur privé).

- « Les actions de lutte contre l’illettrisme et pour l’apprentissage de la langue française ».

La loi de 2007 complète ce dispositif par l’affirmation d’un « droit individuel à la formation d’une durée de vingt heures par an » et bénéficiant à « tout agent de la fonction publique territoriale occupant un emploi permanent ».

En 2017, le Compte personnel de formation – non monétisé, ni financé – est introduit dans la fonction publique en remplacement du DIF. En 2021, une ordonnance met l’accent sur les enjeux de transition et reconversion professionnelle et renforce certains droits pour trois catégories d’agents particulièrement exposées aux risques d’usure ou de décrochage professionnel.

Le CNFPT : un organisme unique en son genre

Observatoire, collecteur, dispensateur de formation, organisme de référence créé en 1972, renforcé par la loi de 83 dite Le Pors, le CNFPT est l’acteur principal de la formation dans la FPT, mais pas que… Dans son projet d’établissement 2022-2027, il se qualifie de « maison des territoriaux ». Même si au final le CNFPT ne délivre qu’environ 50 % des formations réalisées dans les collectivités, cet organisme reste l’opérateur unique pour les formations statutaires obligatoires (27 % de l’activité). Par exemple, la formation des policiers municipaux, dont la formation à l’armement s’est fortement développée, représente aujourd’hui 12 % de l’activité du CNFPT pour un effectif d’agents de 1,5 %. Le CNFPT, par l’intermédiaire de l’Inet (Institut national des études territoriales)[2], forme aussi les futurs et actuels cadres dirigeants des collectivités locales. C’est l’équivalent de l’ex-ENA pour les cadres supérieurs territoriaux. Dans le cadre du nouvel INSP (Institut national du service public), l’Inet participe aux temps de formation communs entre élèves du réseau des écoles de service public et aux classes prépa-Talents.  Dans son bilan d’activité 2021, le CNFPT indique avoir réalisé plus de 175 000 journées de formation pour près de 740 000 agents. En plus de ses activités d’information et de formation, le CNFPT a un rôle :

- d’observatoire : il formalise et actualise le répertoire des métiers territoriaux mis à disposition en ligne sur son site. Il réalise aussi des études et enquêtes sur les emplois, les métiers et les compétences dans la FPT ;

- de gestion de l’emploi des agents A+ : organisateur des concours de catégorie A+ et prise en charge des agents A+ momentanément privés d’emploi ;

- d’organisateur de la commission d’équivalence de diplôme (français et étranger) et de reconnaissance de l’expérience pour l’accès aux concours de la fonction publique territoriale ;

- dans le cadre du développement de l’apprentissage : recensement des capacités d’accueil dans les collectivités, financement des coûts de formation des apprentis, formation des maîtres d’apprentissage.

Intérêts et limites du système actuel

L’intérêt des institutions publiques c’est leur stabilité, leur ancrage sur des valeurs et des principes, leur recherche de compromis dans le sens de l’intérêt général, leur respect des règles et valeurs républicaines et de l’État de droit. L’intérêt d’une institution publique nationale déconcentrée c’est sa capacité à déployer une action équivalente et concertée sur l’ensemble du territoire national. Par exemple, au travers de ses « grandes causes nationales » lancées il y a plus de dix ans, le CNFPT a conçu et diffusé sur l’ensemble du territoire national des actions et outils divers sur l’illettrisme, la lutte contre les discriminations, la prise en charge du handicap, l’égalité femmes-hommes et la lutte contre le réchauffement climatique. Avant même la crise sanitaire il avait lancé un programme ambitieux de développement du numérique et de la formation à distance. Actuellement il accentue son intervention sur les enjeux des transitions. Par sa dimension nationale il peut organiser et diffuser une veille active et fiable sur tous les champs d’intervention des collectivités. Par son cadre défini par la loi, sa mise en œuvre en grande partie par un organisme national majoritairement financé par une cotisation mutualisée, le système de formation pour les agents territoriaux présente sécurité, stabilité et équité entre les territoires et les agents.

Ce socle solide présente toutefois des limites au moins sur deux plans. D’une part pour l’accès équitable aux droits pour les agents publics territoriaux quels que soient leur employeur et leur lieu d’exercice. D’autre part, au regard des enjeux et évolutions du monde du travail qui s’observent dans la fonction publique autant que dans le secteur privé. Sur l’accès aux droits, contrairement aux apparences, des inégalités importantes existent et persistent. Finalement on se rend compte que nombre d’agents territoriaux, en particulier les plus éloignés géographiquement, les moins qualifiés et les plus indispensables sur le terrain (les aides à domicile par exemple ou bien les agents de collecte) n’accèdent pas à la formation soit parce qu’elle n’est pas dispensée par le CNFPT à proximité de chez eux, soit parce qu’elle n’existe tout simplement pas. Le même agent n’est pas assuré de voir son bilan de compétences ou son accompagnement VAE pris en charge… Car la mutualisation du financement de la formation par la cotisation des employeurs est réservée au programme de formation défini par le CNFPT. Il n’y a aucune mutualisation pour d’autres formations ou dispositifs que ceux réalisés par le CNFPT, c’est l’employeur qui peut prendre en charge ou pas, y compris pour le CPF.

Difficultés de recrutement, concurrence entre employeurs sur un territoire, usures professionnelles, enjeux de sécurité et qualité du service public, mobilités, transitions, reconversions professionnelles sont de plus en plus observés dans les collectivités. Le défi d’adaptabilité et de continuité du service public est de plus en plus délicat dans un contexte en perpétuelle évolution, d’urgence climatique, de risques, tensions et incertitudes. L’approche classique de la formation basée sur des programmes et stages définis longtemps à l’avance et dispensés par des experts surtout porteurs de savoirs est bousculée par ces changements et enjeux. Même si certaines innovations prennent place ici et là, les décideurs et acteurs de la formation dans la FPT tardent à prendre la mesure de ces transformations qui doivent être rapides et d’ampleur. La principale difficulté n’est pas celle des moyens, plutôt un enjeu de changement de paradigme sur deux aspects : l’appréhension du rôle et la capacité de chaque agent public à prendre sa part individuelle et collective dans les transformations et adaptations à venir, faire confiance au savoir agir et donner du pouvoir d’agir. Et, le plus difficile pour des acteurs de la formation des adultes : passer de la distribution du savoir à son utilisation pour savoir agir et réagir en situation. Et puis, ne jamais oublier qu’on ne considère pas un adulte en formation comme un enfant !

[1]- L’expression « collectivité locale » désigne dans le langage courant ce que la Constitution nomme « collectivité territoriale ». En effet, jusqu’à la révision constitutionnelle du 28 mars 2003, les deux termes apparaissaient dans la Constitution : collectivité locale à l’article 34 et collectivité territoriale au titre XII. Mais depuis, seule cette dernière expression figure dans la Constitution. Les collectivités sont donc désormais des « collectivités territoriales », l’expression « collectivité locale » n’étant plus juridiquement fondée.[2]- Cf. L. Tertrais, « Former les pilotes de l’action publique locale », revue Cadres n°478, septembre 2018.