« Notre époque se caractérise par de grands contrastes dans ses réalisations et dans ses avancées de la connaissance selon les domaines. D'un côté, nous accumulons des succès admirables tels que l'envoi de l'homme sur la Lune, le creusement d'un tunnel sous la Manche et les multiples succès du génie génétique.... D'un autre côté, des problèmes récurrents depuis plusieurs décennies, voire depuis un siècle ou deux, ne sont toujours pas résolus : l'urbanisation, un développement industriel respectueux des hommes et de la nature, l'éducation des nouvelles générations, et tout récemment l'insertion sociale... ».

Ainsi s'exprime, dans les premières lignes de son livre, Michel Liu, qui, docteur en physique nucléaire et docteur en sociologie des organisations, est professeur à l'université Paris-Dauphine, responsable du programme doctoral « Dynamique des organisations et transformations sociales », dirige le Centre d'Etudes et de Recherche en Sociologie des Organisations, et conduit des recherches nationales et internationales dans le domaine de la recherche-action.

L'expérience de chacun nous montre qu'il arrive de plus en plus fréquemment que l'on soit confronté à des situations qui posent des problèmes d'une complexité telle que leur formulation même apparaît au-delà de notre portée. La recherche-action a été inventée pour permettre, à nos systèmes sociaux confrontés à de telles situations où il n'existe pas de solutions envisageables selon les méthodes traditionnelles, de proposer de nouvelles voies de résolution de problème et d'élaboration de connaissances.

C'est Kurt Lewin qui, ayant fui le nazisme en 1933, orienta ses travaux vers l'étude des phénomènes sociaux de grande ampleur aux Etats-Unis et, ainsi, définira la recherche-action, à partir de la dynamique des groupes restreints. Dans la même période (1940-1945), la Tavistock Clinic, pour l'armée britannique, sera amenée à s'orienter vers la recherche-action et à s'ouvrir à la sensibilité au « groupe restreint » . F. Tosquelles, en 1941, dans une situation vitale sans solution connue, se lancera, en France, dans une expérience qui posera les principes de la psychiatrie ouverte et qui sera à l'origine du mouvement de l'analyse institutionnelle. En Norvège, dans les années soixante, le mouvement de « Démocratie Industrielle » applique les idées de la recherche-action à un environnement d'organisation du travail basé sur le principe de groupes semi-autonomes.

L'évolution historique que nous venons de décrire, qui s'étend de l'origine du mouvement à nos jours, nous montre que les chercheurs-acteurs ont été conduits à prendre des initiatives pour résoudre des problèmes inattendus, que leur posait la pratique de la recherche-action au fur et à mesure de leur émergence. Ces initiatives leur ont permis d'atteindre les objectifs fixés, c'est-à-dire réussir le projet entrepris et contribuer à élaborer des connaissances fondamentales dans le domaine des sciences de l'homme.

De par ses résultats positifs, la démarche instaurée dans la recherche-action apporte un certain nombre de questionnements. Les chercheurs utilisant la méthodologie scientifique habituelle demandent aux chercheurs-acteurs s'ils peuvent réellement prétendre au statut de connaissance scientifique. En retour, les chercheurs-acteurs interrogent les chercheurs patentés : quel est le niveau d'universalité de la méthode scientifique ?

En fait, l'auteur de ce livre démontre que la recherche-action joue un rôle dans l'évolution de la connaissance scientifique. La recherche-action permet de prendre en compte des traits de l'humain et du social qui ne le sont pas dans la conception de la connaissance scientifique du modèle de la recherche physique classique, comme la subjectivité ou l'affectivité. Une vraie démarche scientifique doit être constamment en train d'examiner ses frontières et explorer avec audace et prudence leur franchissement.

Après avoir décrit l'évolution de la recherche-action et avoir défini ses fondements, Miche Liu propose une réflexion sur le processus de mise en route d'une telle démarche et sur les pratiques observées au cours de nombreuses expériences. La recherche-action ne s'improvise pas. Sa mise en place qui, par définition, est complexe, demande de respecter diverses phases, où chacun et chaque groupe d'intervenants est considéré dans sa liberté de définir le problème, de choisir des solutions et les modes de résolutions.

Trois attitudes favorisent sa réalisation :

  • d'abord, la volonté d'autonomisation, sachant que l'autonomie est définie par la capacité de l'individu à décider de son destin en tenant compte de la situation dans laquelle il se trouve. Certaines institutions possèdent des modes d'organisation où la volonté d'autonomisation n'est pas possible et la recherche-action doit viser à les transformer ;
  • la seconde attitude qui peut favoriser la réalisation de la recherche-action est le sens de la démocratie, au sens où il faut maintenir contre vents et marées, cette exigence de participation qui implique tous les individus dans l'action et dans la réflexion sur leur situation ;

Les difficultés venant de la concertation existent et ce sont elles qui demandent une troisième attitude en vue de réussir :

  • c'est la volonté d'aboutir qui se caractérise par une volonté ferme sur les valeurs et les directions d'évolution et une très grande souplesse sur les cheminements.

Si la recherche-action est mise en place pour résoudre des problèmes de fonctionnement et doit aboutir à des solutions, en même temps, elle devra ne pas perdre de vue qu'elle doit aboutir à l'élaboration de connaissances, pour la science. Le pilotage de la recherche-action comprend la définition et la mise en place d'une stratégie d'élaboration des connaissances.

Trois catégories de sujets d'études sont possibles : la première touche aux problématiques propres au terrain, à la situation et aux acteurs ; la deuxième aborde les problématiques de la démarche de recherche-action ; la troisième se penche sur les problématiques des systèmes sociaux et du changement social.

Le choix d'un sujet d'étude se fera en fonction de divers paramètres, en particulier, en fonction des diagnostics posés pendant les phases successives de la démarche.

Il est remarquable de suivre, dans ce livre, la façon dont, dans une situation de recherche-action au sein d'un atelier de tôlerie-emboutissage, sont mis à jour les concepts d'aliénation, (analysés par ailleurs par Blauner), ... impuissance, impression de non-sens, incohérence des normes, isolement, ignorance des autres. A partir de ce constat, les chercheurs-acteurs ont choisi d'œuvrer avec une notion antagoniste de l'aliénation : celle de l'autonomie. Petit à petit, ils firent évoluer ce concept vers une définition à variable sociale : « capacité d'une personne ou d'un groupe à prendre en charge son évolution propre à travers la réalisation des objectifs qu'il se fixe, compte tenu des ressources et des contraintes présentes dans la situation où il se trouve ». Dans le concret de cet atelier de tôlerie, on a pu constater que le groupe a réussi à atteindre l'objectif qu'il s'était fixé en faisant preuve d'autonomie. Ceci a permis de faire une critique de la loi de Blauner qui est apparue restrictive aux chercheurs-acteurs : d'autres facteurs interviennent dans la relation aliénation-technologie. En particulier, les chercheurs-acteurs ont pu mettre en évidence le concept de micro-culture. Un groupe humain, ayant à sa disposition des moyens donnés (technologie) et placé devant la nécessité de les faire fonctionner suivant des impératifs et des règles fixés par l'organisation formelle du travail, va inventer des conduites pour assurer le fonctionnement quotidien de l'unité que ses membres forment. La micro-culture d'un atelier se construit donc à partir de la technologie et de l'organisation formelle du travail, mais elle n'est pas entièrement déterminée par ces deux éléments, car elle procède aussi d'une invention des individus qui en assurent le fonctionnement.

Le livre de Michel Liu est l'ouvrage de référence indispensable pour tous ceux qui souhaitent s'intéresser à la recherche-action.