Nous sommes dans une société saturée d’organisations. Tel est le constat fait par un collectif de chercheurs du Centre de sociologie des organisations (CSO). Dans une époque qui vante autant l’individualisme que l’horizontalité et la fluidité dans une approche réticulaire « post-organisationnelle », il est assez paradoxal d’observer la place et l’emprise des organisations de toutes sortes. À chaque problème, une organisation, et ce, tant dans le domaine privé, public, associatif que professionnel. La pandémie vient encore d’offrir un condensé saisissant de cette « saturation organisationnelle » à travers une variété de comités, de cellules, de task-forces, de conseils…, c’est-à-dire d’organisations s’ajoutant le plus souvent à celles qui existent déjà. Pourquoi cette « frénésie organisationnelle » ? Que produit-elle ? Que change-t-elle ?

En utilisant les robustes grilles d’analyse de la sociologie des organisations, tout en s’élargissant à d’autres sciences sociales, notamment l’histoire ou le droit, l’équipe de vingt-huit chercheurs, sous la direction d’Olivier Borraz, nous propose une très intéressante radiographie organisationnelle actualisée. Les configurations socio-organisationnelles changent sous l’effet conjugué de la globalisation et du numérique. Les mécanismes de concurrence du marché déplacent les lignes entre privé et public. Des logiques autoritaires et technocratiques mettent les nombres au poste de commande des organisations. Des défis sociaux, climatiques et sanitaires taraudent nos sociétés. De nouvelles mobilisations collectives voient le jour. Autant d’éléments qui agissent sur les contours, les normes, les règles, les procédures de décision des organisations dans une complexité accrue. Et, dans le même temps, les chercheurs montrent bien, en retour, les effets de la saturation organisationnelle sur la société et la démocratie, en fait de défiance notamment.

Pour autant, sous la profusion, à l’origine d’une incertitude certaine, il y a toujours des systèmes, des sous-systèmes, des rôles, des relations et surtout des acteurs. Et c’est, au fond, cette permanence organisationnelle que les chercheurs du CSO tentent d’appréhender au-delà des formes et des transformations innombrables. C’est vrai quand il s’agit, par exemple, de saisir ce qui se joue en matière de pouvoir dans les changements organisationnels. Olivier Borraz montre combien, quel que soit le contexte, le pouvoir des acteurs tient toujours à la maîtrise des savoirs et savoir-faire, à la maîtrise de l’information et de sa circulation, à la relation à l’environnement, et à la possibilité d’édicter des règles. Ces solides balises permettent de comprendre, tout à la fois, les déplacements en cours et les stabilités.

Dans cette large radiographie organisationnelle, on regrettera peut-être que l’entreprise, en tant que telle, ne soit pas abordée plus distinctement. Les modèles bureaucratiques privés ou publics ne sont plus les mêmes qu’il y a une cinquantaine d’années. Les surfaces et les frontières évoluent avec les start-up ou les plateformes, mais l’entreprise reste une organisation d’un type particulier avec ses structures, ses interactions, ses cultures. Il y a sans doute une société des entreprises qui mérite d’être revisitée et réactualisée sur un plan sociologique.