« Une société de travailleurs sans travail (...). On ne peut rien imaginer de pire », écrivait Hannah Arendt ! Aujourd'hui, la société salariale se fissure à l'épreuve du chômage et des formes de précarité dans le travail développées au nom de la flexibilité et de la concurrence. Cette vulnérabilité nouvelle produit des exclus doublement pauvres écartés de l'appareil productif mais surtout « surnuméraires » car sans appartenance ni identité.

Depuis quelques années, Robert Castel s'est investi dans l'étude des transformations sociales à travers l'histoire du salariat, de l'époque féodale à la société salariale des années soixante-dix. Avec ce nouvel ouvrage, il nous livre une généalogie de l'expérience contemporaine de la pauvreté et de l'exclusion. Déplaçant la perspective d'analyse d'une société à l'autre, l'auteur interroge les événements en les inscrivant dans une problématique sociale dont l'hypothèse centrale peut être formulée ainsi : l'ordre social naît du divorce entre l'ordre politique et l'ordre économique.

D'une société préindustrielle dans laquelle le recours au salariat, marginal et hétérogène, s'inscrivait dans le cadre d'une tutelle communautaire dominée par des corporatismes, nous sommes passés à une société industrielle fondée sur la notion de contrat de travail, correspondant à un libre accès au marché du travail. L'examen de la question sociale définie comme le hiatus entre l'économique et l'organisation politique passe par l'analyse des transformations d'un système dont un déterminant essentiel demeure le rapport historique au travail. Afin de confronter cette thèse à l'épreuve des faits, Robert Castel s'appuie sur l'histoire du salariat de la société médiévale à la période contemporaine en passant par la révolution industrielle. Dépassant la description empirique des situations de dissociation, l'auteur utilise cet