À partir de leurs expériences, deux formateurs expérimentés du Crefac[1] livrent leurs réflexions sur la posture nécessaire afin de proposer des formations au service des choix militants mais également répondant à des critères de qualité exigés par les institutions de gouvernance.

Vous avez appris en tant qu’éducateurs sportifs.

Thierry Chiocchia. Mon expérience de vie m’a amené très jeune à être en situation de « formateur ». Tout d’abord dans la sphère sportive où j’ai œuvré en tant qu’éducateur sportif auprès de plusieurs tranches d’âge. Pour les jeunes enfants (6 à 10 ans), il s’agissait là d’apprentissage élémentaire autour des gestes, des attitudes, des valeurs de la pratique du rugby, donc de faire agir par mimétisme, montrer, faire reproduire. Puis plus tard avec des adolescents, il fallait aborder d’autres notions comme la stratégie et le plan de jeu. À ce stade il convenait d’amener le groupe à comprendre un choix tactique pour pouvoir l’appliquer.

Géraldine Mercier-Dalle. J’ai eu la chance d’être assez jeune en situation d’accompagnant en tant qu’animateur de centre de vacances ou sportifs auprès d’enfants mais surtout d’adolescents. L’attention, la prise en compte des spécificités, la façon d’être et de faire des référents sont reprises sans appels comme des exemples à suivre, reproduire ou contrer. Ils peuvent prendre une place importante dans la construction des individus et leurs apprentissages. J’ai plus tard été très investie dans le suivi de collectifs de jeunes handballeurs suivant leurs évolutions physiques et psychologiques. Dans ces deux contextes, un regard et une écoute attentive et bienveillante permet de trouver les dispositifs adaptés à l’évolution de chacun dans ses apprentissages et au groupe de devenir plus fort.

C. Plus tard dans ma vie professionnelle, je me suis retrouvé en situation d’accompagnement de gestionnaires de rayon fruits et légumes dans la grande distribution. Face à moi, un seul individu à chaque fois et ce sur une période de six mois à deux ans. Des profils sortant d’une école de gestion commerciale, ou d’un campus « maison», sans connaissance du produit de son rayon. C’est exigeant.

Vous avez perfectionné votre expérience avec la CFDT.

M.-D. Une formation initiale en sciences cognitives m’a apporté un socle de références quant aux mécanismes psychologiques et biologiques liés aux connaissances. Lors de mes premières interventions en entreprise, j’avais pour mission de recueillir et d’organiser des connaissances d’experts en fin de carrière pour transmettre leurs savoirs et savoir-faire. Les suivantes m’ont amenée à formaliser des processus de résolution de problèmes pour des équipes de centres d’appels de services informatiques. Ces expériences m’ont ancrée dans la compréhension des dispositifs d’apprentissages et dans l’importance des connaissances et compétences individuelles pour les organisations. Après quelques années de mandats professionnels et interprofessionnels à la CFDT, j’ai retrouvé dans les dispositifs de formation syndicale ce qui faisait du sens pour moi en termes d’accompagnement aux apprentissages de compétences et de valeurs humaines.

C. Je suis également devenu formateur à la CFDT, avec un public d’adultes répondant à des attentes pouvant être très larges, des militants curieux de tout, dans un domaine quasi inconnu avant d’être confronté à la sphère syndicale, car ni le dialogue ni les relations sociales ne sont abordés pendant les cursus scolaires classiques. Or si les apprenants découvrent, la plupart du temps, un univers nouveau, ils ne sont pas vierges de vécus et de cultures. Une autre particularité dont il faut tenir compte est que l’apprenant est souvent également militant, c’est-à-dire qu’il investit du temps. Mon rôle de formateur participe à la reconnaissance de cet engagement. La CFDT s’est depuis toujours inscrite dans le mouvement d’éducation populaire, parce qu’il ne s’agissait pas de former seulement une élite mais bien, par une pratique volontaire de la vie de groupe, la confrontation, le partage, de faire naître une conscience « politique », certains pourraient dire citoyenne. Cette approche permet aussi de répondre dans les faits à une des valeurs majeures de la CFDT en permettant aux apprenants de s’émanciper par leur montée en compétences, dans un contexte de complexification croissante du dialogue social qui oblige à une professionnalisation des représentants du personnel. Le formateur CFDT doit alors être lui-même en constante recherche d’éléments qui lui permettront de répondre à ce double objectif.

Quelles sont les bases de la posture du formateur ?

C. Je cite un grand professeur en sciences de l’éducation, Jean Houssaye, célèbre pour son « triangle pédagogique» : « Tout acte pédagogique peut être défini comme l’espace entre les trois sommets “élève, maître, savoirs”.» Traditionnellement seuls deux des axes sont plutôt favorisés. L’axe « former » entre le maître et l’élève[2] où une place prépondérante est accordée à la parole de l’élève et l’axe « apprendre » où la construction du savoir est plus importante que le savoir lui-même. Enseigner, apprendre, former, éduquer ou accompagner ne sont pas que des mots différents pour une même réalité. Bien au contraire, ils traduisent autant de postures pédagogiques selon que l’on privilégie un sommet ou une relation entre les sommets. La question alors de la posture du formateur face à ce public peut répondre à différents modèles reconnus : celui du référent, « qui sait » mais qui va donner également le cadre dans lequel l’apprentissage doit s’opérer ; celui du facilitateur ; celui du guide ou de l’accompagnant, celui qui montre le chemin.

C., G.M.-D. À notre sens, pour permettre des apprentissages de qualité, le formateur doit être capable de combiner les trois postures en fonction du contexte et des styles d’apprentissage des apprenants. Bien que la question de l’identification des styles d’apprentissage (facteurs cognitifs, biologiques, personnalités et interactions au monde, contextes, stratégies d’apprentissage…) reste très ouverte et source de nombreuses théories, il est constant d’accepter que tout individu ait ses spécificités. Cette diversité implique des assimilations complexes des informations pour construire des compétences et c’est pour cela que les capacités d’adaptation, d’écoute et de prise en compte des diversités des formateurs sont essentielles pour permettre aux apprenants de trouver du sens à une formation et de s’approprier de façon efficace de nouvelles aptitudes. Par ailleurs, même si cela peut être différent pour des militants syndicaux, aller en formation pour un adulte est souvent source d’interrogations, d’incertitudes et les freins peuvent être nombreux, susceptibles de compromettre la qualité de l’apprentissage. Le rôle du formateur, dans son animation (donner une âme!), doit être source de motivation. À notre sens, le formateur doit être capable de transmettre une énergie positive pour : dynamiser son groupe, permettre à chacun d’être valorisé, percevoir en quoi et comment les apports de la formation, du groupe, peuvent être riches et mis en œuvre dans ses missions. Cela lui permet de trouver du sens et du plaisir dans ce travail d’apprentissage. Le formateur doit être en écoute active, faire preuve de bienveillance, s’appliquer à lui-même une règle de vie du groupe : le « non-jugement ». Chacun des apprenants répond à ses sollicitations en fonction de situations réelles qu’il aura vécues et non pas en fonction de règlements et/ou théories. L’avantage de la formation, c’est que l’erreur y est admise, elle est même source d’apprentissage.

M.-D. Accompagner comme on le peut et aider à donner du sens. J’aime une citation d’Aristophane: « Former les hommes ce n’est pas remplir un vase, c’est allumer un feu. », car elle me semble bien définir ma perception de l’objectif d’un formateur qui est de créer les conditions d’apprentissage répondant aux besoins de chacun. Aider les apprenants à construire un socle de compétences qu’ils pourront développer et mettre en œuvre dans « la vraie vie ».

C. L’éthique de l’éducateur est invariante. Je pense aux travaux de Guy Le Boterf sur la formation continue. «Le professionnel est celui qui non seulement est capable d’agir avec pertinence dans une situation particulière mais qui également comprend pourquoi et comment il agit.» C’est la question du sens qui selon moi est importante et doit rester sous-jacente aux actions du formateur, en même temps qu’échanger régulièrement entre pairs.

[1]- Centre d’étude et de formation pour l’accompagnement des changements. Voir Corinne Baudry, Guy Fiorina, « Une pédagogie réflexive pour les cadres et en appui au développement syndical. Le Crefac, un service aux adhérents, militants et structures », Revue Cadres, no 481, juin 2019. [2]- Voir également les principes de la relation d’aide développés par le psychologue américain Carl Rogers.