Ce contexte incite les salariés à développer tout au long de leur parcours de formation des compétences transversales au champ professionnel. La professionnalisation ne peut pas occulter l’employabilité et elle permet d’occuper un emploi donné ou d’exercer une fonction.

Apprendre et se former en permanence devient un paradigme de référence

Un contexte paradoxal et imprévisible, celui d’une société en pleine mutation qui vit un présent accéléré : celui de transformations technologiques et immatérielles porteuses de flexibilité, impliquant chez les salariés de nouvelles compétences requises, compatibles avec les récentes formes d’emploi. Ces transformations sont révélatrices d’un changement sociétal porteur d’un individualisme institutionnel et d’une confrontation de cette notion d’adéquation formation emploi, souvent centrale dès que l’on s’intéresse à la professionnalisation. En effet, la professionnalisation questionne le lien formation-travail et ces différentes dimensions comprises dans les représentations du travail interrogent également au niveau idéologique le lien entre professionnalisation et employabilité. La nécessité de développer des compétences pour assumer une mobilité désirée implique de prendre en compte deux concepts clés, l’employabilité et l’apprenance, le premier porteur des capacités à s’adapter aux changements, le second générateur d’habileté permettant aux salariés concernés de faire face à des situations inédites. Apprendre, se former ne relève plus seulement du désir d’apprendre, de la curiosité, de la motivation mais d’un sentiment d’urgence afin de se prémunir des ruptures professionnelles et de situations inédites. Les salariés deviennent des partenaires actifs de leur processus d’apprentissage. La société actuelle devient celle « de la connaissance », « de l’information ». La société ne serait plus seulement porteuse d’éducation mais apprenante, elle crée de nouvelles conditions d’optimisation des formations et des apprentissages. Un nouveau paradigme de l’apprendre voit le jour, sa définition est : « un ensemble durable de dispositions favorables à l’action d’apprendre dans toutes les situations formelles et informelles, de façon expérientielle ou didactique, autodirigée ou non, intentionnelle ou fortuite ».

L’idée de se former tout au long de la vie et de trouver soi-même dans l’organisation comment anticiper et construire son développement semble être intégrée. On entre dans un registre où l’autonomie devient la norme et une condition de la performance (Baron, 2016). L’autonomie comme émancipation et l’autonomie comme injonction, quelle cohabitation ? Pour Ehrenberg (2004, p.137) « l’autonomie n’est alors plus de l’ordre d’une “revendication”, elle est désormais une condition » et aussi « l’alternative économique consiste à décrire comment nos manières d’agir et de subir en société changent de façon interdépendante en étant progressivement imprégnées par les représentations collectives de l’autonomie. »

Cette exigence de responsabilité individuelle pose la question de ceux qui n’auraient pas cette attitude, quelle place pourront-ils avoir s’ils ne continuent pas à apprendre et à améliorer leur efficience tout au long de leur vie professionnelle (Aubert, 2006).

En ce qui concerne la formation, elle répond aux exigences du présent, vers le très court terme, voire le momentané, du projet de mobilité ou de reconversion.

On parle d’individualisation de la formation, on ne forme pas, ce sont les individus qui s’emparent de leur formation. La place centrale de l’individu dans nos sociétés est installée, toutes les conditions sont réunies pour donner à la personne une responsabilité individuelle dans l’action de se former. C’est une logique de l’apprenant, de l’acteur responsable, du citoyen pilote de son destin.

Le projet de formation est plus soucieux d’aménager le présent transitionnel que d’anticiper. La raison de s’engager en formation est déterminée par un raisonnement de gestion de parcours professionnel ou de recherche d’emploi. La formation n’est pas considérée en entreprise pour réactualiser, prolonger, réorienter les apprentissages. Les formations proposées en entreprise délaissent le perfectionnement ou l’acquisition de nouvelles compétences pour une actualisation simple des conditions actuelles de travail (Frimousse et Peretti, 2019). On le retrouve dans les réponses de mon étude réalisée en 2020 auprès d’un échantillon de cadres : « L’entreprise m’encourage à recevoir des compétences dans un champ périphérique/adjacent à mon poste de travail. »

Les fondamentaux de l’éducation permanente sont incontestablement liés au travail et à l’emploi et l’apprentissage tout au long de la vie. Le droit de la formation privilégie l’individualité avec les lois sur la VAE (2002), le droit individuel à la formation (2004), l’orientation tout au long de la vie (2009) et enfin le compte personnel de formation (2014), le conseil en évolution professionnelle (2013), la réforme de la formation professionnelle (2018).

Cependant le salarié ne peut devenir acteur du développement de ses compétences que dans le cadre d’un effort important de régulation de la part de l’entreprise (Zarifian, 2004). Ceci nous interroge sur le rôle de la fonction RH au sein des organisations qui va certainement connaître de profonds changements concernant « la nature des postes, les compétences attendues, les missions confiées, les méthodes de travail » (Bouteiller, 2009). Ces nouvelles dispositions personnelles qui favorisent les apprentissages vont permettre le développement de l’employabilité grâce à des capacités objectivables des personnes selon les contextes et les enjeux. Cela nous amène à nous questionner sur l’accompagnement et l’orientation professionnelle de ces apprenants actifs au sein des organisations.

Le rôle des salariés dans leur apprentissage organisationnel

Les mutations, les relocalisations et les mobilités exigent des salariés l’acquisition de compétences pour répondre aux nouvelles exigences professionnelles. De nouvelles industries et de nouveaux services apparaissent tandis que certains déclinent par obsolescence technologique. Les entreprises doivent constamment être innovantes pour survivre et prospérer. Le cycle d’un produit s’est fortement réduit, nécessitant des changements rapides.

Dans ma dernière recherche sur l’employabilité et l’apprenance (Pierron, 2020), les cadres déclarent avoir pris conscience que savoir ce que sera demain est plus confortable pour assurer le présent. Ils disent avoir réalisé que les temporalités changent et s’adaptent ou se réadaptent à des espaces professionnels momentanés. Les effets déstabilisateurs de notre environnement semblent avoir provoqué chez ces cadres des anticipations opératoires concentrées sur la prévention, la précaution. Il s’agit pour eux de mettre en place des actions adaptées comme se perfectionner tout au long de leur parcours professionnel pour éviter que ne survienne telle ou telle forme d’avenir jugée indésirable mais inéluctable si aucune initiative n’est prise. Ils sont confrontés à une multitude de situations professionnelles et sont contraints d’acquérir la faculté de transposer leurs compétences en situations nouvelles. C’est par rapport aux risques que présente cet environnement changeant qu’ils indiquent se perfectionner et apprendre de manière continue. Par conséquent, c’est le salarié apprenant qui construit ses compétences dans des situations plus ou moins facilitantes. Dès lors, l’acteur principal du processus de formation devient le salarié, désormais identifié comme apprenant autonome. Apprendre et se former en continu est un passage obligé pour sécuriser le parcours professionnel dans un contexte de transformation.

Cela installe les cadres dans des exigences de flexibilité dues aux aléas des marchés. Cette montée en puissance des facteurs cognitifs dans le cadre du travail est liée aux transformations numériques, technologiques. En effet, la révolution numérique a impacté très largement les cadres dans leurs modes d’apprentissage. Les cadres dans cette étude De l’employabilité à l’apprenance (Pierron, 2020) se déclarent capables d’intégrer de la flexibilité dans leur quotidien professionnel et de s’adapter aux aléas de leur organisation, mais pas de manière permanente comme on pourrait le leur demander. À travers leurs réponses nous avons le sentiment que ces cadres semblent avoir accepté d’être des variables d’ajustement, qu’ils adhèrent à cette demande d’adaptabilité et de flexibilité. Ils disent avoir accepté de répondre aux fluctuations demandées par leurs entreprises de se mettre en mobilité. Ces entreprises développent une sorte de géométrie variable qui leur permet de jouer sur l’amplitude des services proposés et d’aligner à chaque instant des effectifs formés en quantité appropriée. Les cadres interrogés souhaitent utiliser la formation pour réactualiser, prolonger, réorienter leurs apprentissages ; ils veulent retravailler, revisiter leurs connaissances en permanence. Cependant les formations proposées en entreprise délaissent le perfectionnement ou l’acquisition de nouvelles compétences pour une éducation permanente de ce qu’ils savent déjà, c’est-à-dire des conditions actuelles de leur poste de travail. Face à l’instauration progressive d’une culture de l’employabilité dans les mesures législatives pour essayer d’enrayer la montée du chômage, la formation professionnelle apparaît comme un moyen pour résoudre cet enjeu sociétal.

En conclusion, se former en permanence dans un environnement en constante évolution devient le paradigme pour faire face au provisoire puisqu’il s’agit de durer professionnellement. Comme le souligne l’historien Hartog (2003) : « Nous sommes acculés à devoir gérer ce moment présent qui prend des formes variées, celles de l’urgence, de l’immédiateté, de l’instantanéité, du momentané. » Car assumer le caractère provisoire de chacune de ses situations professionnelles semble devenu le sort de l’individu contemporain. L’idéologie du salarié acteur de son devenir professionnel devient la réponse pour ces parcours professionnels de déroutes, d’orientations, de désorientations et réorientations. Boutinet (2009) résume ces dispositions de cette manière : « […] l’autonomie injonctive dictant les repères techniques à utiliser pour se gouverner par soi-même, en évitant tout état de dépendance qui abuserait de l’aide d’autrui ou de la collectivité. »

L’employabilité est uniquement développée pour maintenir le salarié sur un champ de compétences qu’il maîtrise déjà. L’entreprise encourage à recevoir des compétences dans un champ périphérique ou adjacent au poste de travail. Cette culture de l’acteur se traduit par l’obligation de se mettre en scène, se décider par soi-même, se déterminer dans ses responsabilités, ses projets, ses choix. En effet, on assiste à une culture volontariste où l’individu se justifie, s’affirme, à travers une multiplicité de croyances, de projets, de situations individualisantes (Ehrenberg, 2004).

Références bibliographiques

Nicole Aubert, « Hyperformance et combustion de soi », Études, tome 405(10), 2006, p. 339-351. Xavier Baron, La compétence refondée : opérateur de santé au travail ?, PUF, 2016. Dominique Bouteiller et Patrick Gilbert, « Qu’a-t-on appris de la gestion des compétences », dans Actes du XXe congrès de l’AGRH, 2009.  Jean-Pierre Boutinet et Pierre Dominicé, Où sont passés les adultes ? Routes et déroutes d’un âge de la vie, Téraèdre, 2009. Soufyane Frimousse et Jean-Marie Peretti, L’apprenance au service de la performance, EMS Éditions, 2019. Alain Ehrenberg, La fatigue d’être soi, dépression et société, Odile Jacob, 2004. François Hartog, Régimes d’historicité. Présentisme et expériences du temps, Seuil, 2003. Claudine Pierron, De l’employabilité à l’apprenance : stratégie de carrière des cadres, EMS Éditions, 2020.