L’activité de travail est une montée en compétences dans l’aide apportée pour développer des savoirs, pour comprendre ce qui est appris du travail et par le travail. Les compétences s’acquièrent par la formation et la valorisation de l’expérience. À la différence de la qualification, qui définit un poste, elles déterminent les apprentissages professionnels, c’est-à-dire les capacités et les besoins. C’est reconnaître ce que chacun de nous a de professionnel, indépendamment du fait d’occuper un poste. Être sans emploi ou en avoir un difficile ou dégradant n’enlève rien à la légitimité de la personne en tant que travailleur. 

Trois freins nuancent cette dynamique. Le premier est le culte du rang. En témoigne l’incessante question « Quel diplôme avez-vous à la base ? ». Reflet de la course aux « talents », nous sommes tenus d’avoir un parcours linéaire et ascendant, c’est-à-dire performant et en croissance. Dans la réalité, nous avons le droit d’hésiter et d’explorer ; les aléas ou erreurs ne sont pas des « accidents » de parcours mais font partie du rythme normal. D’où l’importance des dispositifs professionnalisants qui articulent le travail réel, la connaissance et la formation. A ce titre, le « passage » cadre est une reconnaissance des appétences organisationnelles et d’un niveau de technicité, et non une logique d’honneur[1]. Au-delà des compétences, monter en professionnalité, c’est un peu prendre sa revanche sur sa condition initiale, sur la prescription du travail et sur une évaluation dégradée. C’est avoir les moyens de s’affirmer malgré la condition de subordination. Notons au passage que l’engagement syndical ne l’est pas moins puisqu’il s’agit dans l’idéal de développer des compétences personnelles dans un cadre professionnel, découplé de la subordination, ce dans une construction collective et d’intérêt général.

Le second frein est l’inégale lutte de la formation professionnalisante avec la dévotion du diplôme initial. Laurent Berger rappelait récemment que la CFDT la défend comme un enjeu central et qu’elle a fait de grands pas dans notre pays : « La formation professionnelle est aujourd’hui devenue une question centrale, dans le débat public, un enjeu stratégique des politiques de l’emploi, mais aussi pour beaucoup de travailleurs qui y sont de plus en plus sensibilisés »[2]. Mais il reste beaucoup à faire, notamment dans l’accompagnement (le déploiement du conseil en évolution professionnelle, notamment). La formation continue joue en effet dans l’adaptation des individus, mais elle est encore insuffisante dans son rôle d’école de la seconde chance. Reprendre ses études quand on est au travail n’est pas dans la tradition de notre système éducatif. Si les universités et les écoles ont développé de nombreuses offres, les moyens publics sont sans mesure avec ceux accordés à la formation initiale dont on attend pourtant tout en matière d’égalité des chances. Souvent trop courtes, les formations restent spécialisées, techniques, comportementales, axées sur l’adaptabilité productive de court terme. Il est difficile de trouver une formation à la fois compatible avec une activité et qui confère des perspectives professionnelles. Pourtant seul un actif sur deux exerce une activité en lien avec ses études.

Le troisième frein est le manque d’écoute des travailleurs. Ils ont besoin d’exprimer ce qu’ils apprennent de leur travail, d’autant plus si celui-ci est dur ou contraint. Il ne s’agit pas seulement de reconnaître le travail mais également le sujet au travail, donc la légitimité de son ressenti. La participation et la valorisation de l’expérience sont des leviers de prévention primaire des risques professionnels et de qualité de vie au travail. Ce qui passe par une analyse de l’activité, par une évaluation conjointe et continue, mais cela se perd. C’est pourtant dans les situations d’apprentissage collectif sur le travail que les travailleurs puisent des repères, des connaissances, des référentiels de compétences transférables.

Ces trois freins cèdent aujourd’hui. Le fort développement des contrats d’apprentissage (plus de 700 000 en 2021) et le succès du compte personnel de formation attestent d’une petite révolution culturelle dans notre pays. De même, les attentes d’un management participatif se ressentent dans tous les secteurs. Il émerge la demande d’un droit à l’employabilité au-delà du poste occupé comme des nécessités de sécurisation des parcours : une attente d’identité professionnelle liée à la reconnaissance de l’expérience de travail. C’est essentiel dans un monde souvent difficile, de parcellisation des tâches, de contrôle de l’activité, de reporting, de pression financière, de management défaillant et parfois fragilisant. Quand le travail est appauvri, sécuriser l’identité de celui qui le fait, l’aider à exister malgré les conditions d’emploi et de son exercice grâce au fait que le travail et la formation s’appuient l’un sur l’autre.

[1]-Cf. notre dossier de la revue Cadres n°494, oct. 2022. [2]- Voir les travaux du congrès de Lyon, juin 2022, et Laurent Berger, « Réparer les désordres du travail », La Grande Conversation, Terra Nova, février 2022.