La résolution confédérale pose ainsi notre socle politique : « Les richesses créées par l’entreprise doivent être mieux réparties ; elles doivent mieux rétribuer les travailleurs, permettre à l’entreprise d’investir et notamment dans les compétences ». J’ajoute un impératif conjoncturel que les NAO[1] doivent prendre en compte. Depuis fin 2021, les prix augmentent plus vite que les salaires. La forte inflation actuelle, liée à la reprise économique post-pandémie et à la guerre en Ukraine, ne devrait pas durer à moyen terme. Mais les chocs inflationnistes vont se multiplier sous l’effet des changements environnementaux. Le taux d’inflation en France est plus faible que dans le reste de la zone euro, mais la croissance des salaires est en effet plus faible en France que dans les autres pays européens. Certains travailleurs n’ont pas eu ou que peu de compensation, en particulier par la prime « Macron ».

D’un côté, le top management bénéficie d’une rémunération très largement individualisée et soutenue par l’employeur, dans un rapport qui échappe à la régulation interne. Et de l’autre, les plus bas salaires pris en charge je dirais par l’extérieur de l’entreprise avec les minima de branche et le niveau du Smic notamment. Entre les deux, une majorité de salariés qui attendent beaucoup des négociations d’entreprise, alors que les employeurs ne sont pas très portés à discuter du partage de la valeur ajoutée. Les entreprises développent aussi des stratégies pour les entrants et les hauts potentiels. On touche là aux rémunérations des cadres supérieurs qui ne sont pas décrites dans les bilans sociaux. Beaucoup bénéficient de systèmes de bonus sur objectifs, de primes, de commission, etc. Les indicateurs sont individuels.

Aujourd’hui les deux tiers des branches ont des niveaux de salaire minimum qui démarrent sous le Smic. La revalorisation du Smic conduit une majorité de branches, qui n’avaient pas anticipé cette augmentation, à se retrouver en situation de non-conformité au regard du Smic. Un salarié ne peut pas être payé moins que le salaire minimum, l’employeur devant combler l’écart. Mais cela induit un tassement vers le bas des niveaux de classification. C’est sur la classification des emplois et sur le respect des grilles qu’il faut se battre. Beaucoup d’entreprises contournent les règles négociées dans les branches, mettent en places des démarches individuelles. Parmi les 171 branches du secteur général de plus de 5 000 salariés et à la suite de la revalorisation du 1er janvier 2022, 130 branches (76 %) étaient en situation de non-conformité (dont 108 déjà depuis le 1er octobre 2021). Près d’un tiers reste en situation de non-conformité. L’indexation du salaire minimum sur l’inflation permet aux plus faibles salaires d’être relativement protégés face aux hausses de prix. La proportion de salariés concernés par la revalorisation du Smic continue de croître depuis la précédente crise économique (2008-2009). Cela signifie que de plus en plus de salariés sont payés au plus bas salaire possible et que la négociation de branche fonctionne mal puisqu’elle ne permet pas de réduire la proportion de travailleurs payés au Smic.

La classification professionnelle d’un salarié définit le niveau du salarié en fonction de ses compétences et de son ancienneté dans le poste. Les conventions collectives font correspondre à chaque qualification professionnelle une description des tâches pouvant être demandées au salarié. Ce travail d’expertise syndicale sur les métiers et leurs évolutions est très technique et demande beaucoup de ressources militantes, mais il est passionnant. Cela permet d’aller plus loin que l’approche quantitative, de la discussion sur le taux d’inflation et le résultat net de l’entreprise. D’une certaine manière, nous nous sommes collectivement acculturés en France à la défense de l’emploi contre une acceptation de la modération salariale ces vingt dernières années. Il faut repartir du travail pour défendre sa rémunération. Idem côté employeur, où les DRH se voient trop souvent contraints par les directions financières qui leur allouent une enveloppe de maîtriser la masse salariale à court terme, sans donner les moyens de rémunérer les investissements en compétences. Mise à part la politique sur les salariés sur les talents, les politiques RH de rémunérations manquent de créativité et de marges de manœuvre, ce qui se ressent pour les salariés à tous les niveaux de management. Le résultat est que les NAO tendent à s’appauvrir dans une sorte de deal coût du travail contre pouvoir d’achat. Deux sujets évidemment essentiels, mais mal discutés. Ce statu quo n’est pas possible dans un contexte inflationniste.

La CFDT a toujours pour objectif que la loi fixe le rapport maximal entre les plus hautes et les plus basses rémunérations dans l’entreprise ou dans un même groupe, incluant les rémunérations globales des mandataires sociaux (gérants, présidents, directeurs…), même si celles-ci sont payées ailleurs que dans l’entreprise. Dans mon secteur d’origine, la banque, cet écart était de 1 à 400 il y a quinze ans. Il est estimé à 10 fois plus aujourd’hui dans certaines entreprises d’autres secteurs. Rien n’a véritablement changé depuis la crise financière. Et tous les secteurs sont concernés, de l’industrie à la grande distribution. A l’autre bout de la réalité sociale, il faut mieux qualifier la fixation du Smic. La CFDT demande la création d’une Commission nationale « salaires décents » qui travaille sur les bas salaires, des inégalités, le temps partiel subi, et ce branche par branche. A noter que nous proposons que cette réflexion doit porter sur le traitement dans la fonction publique. Il faut sortir du débat populiste qui enferme la question du pouvoir d’achat au seul niveau du Smic. Il conforte l’isolement des négociations locales sur les rémunérations, alors qu’il faut les relier à une discussion sur l’ensemble des conditions de travail et des modes de reconnaissance.

En effet, la rémunération comprend un salaire de base, auquel s’ajoutent éventuellement des primes, des gratifications, ou avantages divers, notamment le treizième mois. Cette partie peut être importante dans certains métiers et l’employeur peut revenir dessus de façon unilatérale. La CFDT revendique que les critères de fixation des éléments de la part variable soient négociés comme l’est la part fixe. C’est un enjeu d’égalité et e principe « à travail égal, salaire égal » consacré par le droit du travail mais très mal appliqué. Récemment la première banque française a été condamnée en première instance suite à une plainte de la CFDT et cela pourrait faire jurisprudence dans tout le secteur financier. Le tribunal lui a imposé de prendre en compte le salaire variable dans le calcul des écarts salariaux liés aux genres. Tous les poids lourds du secteur calculent encore les écarts salariaux dans leur entreprise sur les bases du fixe. C’est très hypocrite dans un secteur où le variable est important, surtout lorsqu’on est scandalisé par l’opacité avec laquelle se décident les primes des cadres dirigeants. Leur rémunération doit correspondre à la rémunération effectivement perçue par la salariée, et ne saurait se réduire à la rémunération de base. Plus largement le principe d’égalité impose la prise en compte de la part discrétionnaire du salaire pour permettre une véritable comparaison de la rémunération effective des hommes et des femmes dans l’entreprise.

Autre enjeu, celui de la participation et de l’intéressement, dispositifs bien distincts, avec pour objet d’associer les salariés aux performances de leur entreprise : le bénéfice pour l’un et le gain de productivité pour l’autre. Ce ne sont pas des salaires mais des compléments aléatoires de rémunération. Toute entreprise de plus de 50 salariés doit mettre en place un système de participation. L’intéressement est facultatif et peut être réservé à une certaine catégorie de personnels. La CFDT demande que la participation soit élargie obligatoirement à toutes les entreprises et ouverts à tous, quelque soit la position hiérarchique et l’ancienneté. Aujourd’hui tous les salariés ou presque des grands groupes sont couverts par au moins un des deux dispositifs, alors qu’ils ne sont que 17% dans les TPE.

Enfin, la fixation des dividendes doit-elle être conditionnée au respect des aides publiques, au respect de ce qui est versé aux salariés, et aux limites de l’optimisation fiscale qui coûte plusieurs dizaines de milliards d’euros à l’Etat. Les grands patrons sont toujours prêts à discourir sur le coût du travail en France, rarement sur celui du capital et la transparence financière, et encore moins sur le partage de la richesse créée au niveau de la chaîne de valeur. C’est un grand enjeu syndical, même s’il est difficile à porter au sein de l’entreprise donneuse d’ordre. La CFDT revendique davantage de régulation dans les relations entre l’entreprise et ses sous-traitants, afin de garantir une véritable solidarité salariale. Tout l’enjeu est d’aider les militants qui travaillent sur les rémunérations à les aider dans l’analyse de la stratégie financière au niveau de leur entreprise, et dans celles de l’évolution des métiers au niveau de leur branche.

[1]- La négociation annuelle obligatoire (entreprises où sont constituées une ou plusieurs sections syndicales d’organisations représentatives et dans lesquelles est présent au moins un membre de la délégation élue du personnel au CSE) ; l’employeur engage au moins une fois tous les quatre ans notamment une négociation sur la rémunération, notamment les salaires effectifs, le temps de travail et le partage de la valeur ajoutée dans l’entreprise.

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