Certaines entreprises mondiales des plus réputées ont survécu au scandale qui les a touchées ces dernières années : Michelin, Danone, et d’une certaine façon, TotalFina, en sont de bons exemples. D’autres, au contraire, ont été anéanties, entraînant avec elles comme par un sombre « effet domino » une fraction non négligeable de leurs parties prenantes : clients, fournisseurs, actionnaires. L’affaire Enron est à cet égard édifiante, comme plus récemment Parmalat en Italie, mais on pourrait citer de nombreux autres exemples médiatisés à l’envi. Comment se fait-il que certaines entreprises résistent mieux que d’autres à la tourmente ? De quelle nature est le rempart qui les maintient debout face à une opinion éclairée et informée ?

Pour cerner la question, il est peu pertinent de s’appuyer sur les chiffres : tant de milliards de d’euros perdus, tant de troupeaux abattus, tant de kilomètres de côtes polluées. Dans tous les cas de figure la crise est d’abord une crise de confiance. Métaleurop Nord, Palace Parfums, Daewoo, Mueller en 2003 ont trahi la confiance de leurs acteurs. La capacité de résistance aux scandales semble dépendre des valeurs d’entreprise. On y discerne bien la vision bipartite que les entreprises accordent aux valeurs : les valeurs identitaires et les valeurs éthiques.

Ces deux sphères de valeurs permettent à l’entreprise d’affiner sa communication, tant interne qu’externe, et surtout d’afficher sa culture. Toutefois, les valeurs identitaires, plus repérables, sont utilisées pour la communication marketing, alors que les valeurs éthiques, moins lisibles sans doute, sont profondément ancrées dans les comportements de l’entreprise. De ce fait, leur impact sur les différents publics de la firme est essentiel. On peut dire que la vision identitaire des valeurs identifie l’image de l’entreprise et que la vision éthique détermine sa réputation.

Cette distinction est loin d’être anodine. De l’image à la réputation il y a les hommes, il y a donc la confiance et sa pléiade de valeurs d’implication et d’engagement des parties prenantes qui est en jeu. En effet, qui ferait vraiment confiance à la seule image, souvent versatile, tributaire des mœurs et des mouvances de la société ? Mais du même coup, qui accorderait sa confiance à une entreprise (ses hommes, ses services, ses produits) de mauvaise réputation ?

En travaillant trop son image, l’entreprise inscrit dans le court terme son rapport à la vie publique. Plus tactique que stratégique, l’image pointe dans l’instant une situation, un produit, un service à un moment donné et son approche ponctuelle ne permet pas toujours de saisir le véritable « esprit de l’entreprise ». En revanche, la réputation s’inscrit dans le temps, elle porte en elle et l’image et les hommes de l’entreprise tout autant qu’elle est bâtie sur eux et par eux.

Intimement culturelle, historique et patrimoniale, la réputation de l’entreprise ne peut se passer des hommes. Et les managers, dans l’élaboration complexe de leurs stratégies ne peuvent l’ignorer. La capacité de résistance d’une grande entreprise aux multiples coups du sort – portés parfois par les dirigeants eux-mêmes – dépend ainsi de l’attention constante de tous ses acteurs à ne pas trahir sa réputation. La plupart des codes de déontologie lui consacrent d’ailleurs un article.

L’agence Wellcom a élaboré récemment le premier indicateur des valeurs d’entreprise. Les résultats laissent penser qu’il existe bien des conduites à tenir pour prévenir un trop grand différentiel entre valeurs identitaires et valeurs éthiques, ou pour le dire autrement, entre valeurs d’image et valeurs de réputation. L’identification des enjeux d’une conduite éthique prend alors tout son sens pour définir des principes d’action novateurs et des projets motivants pour les hommes, seuls capables de valoriser la responsabilité sociale de l’entreprise, garante de sa réputation. Préventive, implicative et prospective, la conduite éthique de l’entreprise s’impose désormais comme levier majeur de sa pérennité.

L’exemplarité

On ne peut donc rester indifférent aux résultats de cette étude qui placent largement en tête du hit parade des valeurs d’entreprise l’innovation et le progrès et coiffent l’exemplarité du bonnet d’âne de la cinquantième et dernière place (soit 1% des entreprises).

Étonnant donc, puisque l’exemplarité est la valeur numéro un d’une conduite éthique de l’entreprise ; elle sous-tend, en effet, l’excellence (en 12e position, soit seulement 10% des entreprises) et surtout l’exigence (en 18e position sur 50, choisie a minima par 7% des entreprises). Comment une entreprise peut-elle s’engager dans une démarche d’innovation et de progrès en se détournant de son devoir d’exemplarité ? Car comment innover sans exceller ? et comment progresser sans exiger ? Sans compter que l’exemplarité est, à l’égale de la confiance, une « valeur capitale » de la réputation. Le témoignage du directeur des affaires pharmaceutiques de la filiale française du groupe américain Pfizer vaut la peine d’être médité par tous les responsables : « Irréprochable. C’est aussi une qualité de la hiérarchie. A l’échelle de l’entreprise aussi, la notion de l’exemplarité est très forte. Dans le contexte d’une équipe de travail, le leader se doit de suivre quelques commandements, sans pour autant mettre de côté sa propre sensibilité, ni freiner ses initiatives. Une image de montagne vient à l’esprit : celle de premier de cordée ».

Une enquête réalisée par Harris Interactive pour Hill & Knowlton (Corporate Reputation Watch) en avril 2001, auprès de 1000 dirigeants internationaux, révélait également que les dirigeants français sont moins attentifs que leurs homologues internationaux à l’impact de la réputation personnelle du Président sur celle de leur entreprise. Or, l’exemplarité est la valeur première du dirigeant et de ses équipes managériales, dont l’une des missions est de contrôler les risques d’érosion du capital réputation de l’entreprise.

D’autre part, si cette étude internationale de 2001 montre que les dirigeants français sont ceux qui accordent le plus d’importance au leadership pour promouvoir la réputation de leur entreprise, on remarque que l’indicateur Wellcom fait apparaître la valeur leadership à la 39e place sur 50. Ainsi, seulement 3% des entreprises françaises se préoccuperaient de leur réputation ! C’est pourtant via la qualité des procédures et des institutions que le leadership peut s’exercer de façon exemplaire. Les leaders incarnent ce que A. Minguet appelle dans son article « L’exemplarité, un appel à la vie » (Entreprise éthique, n°4, 1996, pp. 63-70), les « trois valeurs de l’exemplarité » : la cohérence personnelle, l’incarnation du sens et l’humanisation de la règle. La crédibilité, la légitimité d’une bonne réputation peuvent donc être ébranlées par un discours flottant et peu convaincant. Les actes doivent accompagner les paroles.

La communication sur les actions engageant la responsabilité économique, sociale, sociétale ou environnementale d’une entreprise doit être le reflet exact de la conduite éthique de ses affaires. Les entreprises qui l’ont compris et ont fédéré leur management autour de valeurs partagées, d’une culture éthique et d’un esprit identitaire sont sans doute les mieux placées pour répondre à la pression exercée par l’éclosion d’un scandale. Par voie de conséquence, le comportement éthique des dirigeants et des responsables est primordial. Il en va aussi de la lisibilité de leurs stratégies, il en va de la confiance de leurs acteurs, de leur faculté d’innover et de l’intérêt général de l’entreprise.