Il n’y a pas de définition unique juridique ou scientifique de la qualité de vie au travail (QVT). Le concept trouve ses origines dans les travaux d’analyse critique du taylorisme dès les années 1950 sur les limites du modèle d’organisation rationnel. Ce seront les travaux du Tavistock Institute, d’Elton Mayo, d’Abraham Maslow, notamment, qui feront émerger le « facteur humain », une attention à l’expérience de travail, au comportement des travailleurs. Tout n’étant pas prévisible et maîtrisable, l’efficacité dépend de la bonne articulation entre besoins individuels et ressources collectives apportées. Puis, dans les années 1970 se développent les recherches sur la santé psychologique au travail, avec la conceptualisation du lien entre stress individuel et organisation (le questionnaire Karasek notamment). Formellement, l’expression « quality of working life » apparaît lors d’une conférence internationale dédiée, en 1972 aux États-Unis[1]. En France, les débats sont similaires avec la critique du fayolisme (du nom d’Henri Fayol) et de l’administration gestionnaire des entreprises. Avant sa précision en 2013, le terme de « qualité de vie au travail » indique au premier abord les facteurs d’ambiance et de confort : la vie au travail. Cependant, l’écho de la clinique de l’activité (Yves Clot) dans le contexte d’intensification des années 2000 plaide pour une qualité de vie au travail perçue comme la qualité du travail. C’est ainsi que la qualité du dialogue social et professionnel sur l’organisation reste une conviction militante : doit-on parler de l’ambiance de travail, de l’activité elle-même, du travailleur, des conditions de réalisation ? Les employeurs mettent en avant le soutien à l’individu, la politique de l’emploi soutient la qualité du statut et de l’insertion, les syndicats intègrent l’ensemble des déterminants de l’activité. Cependant la plupart des définitions ont en commun de décrire la QVT comme une démarche entre des parties prenantes.
Le taylorisme n’est pas mort
Le grand public découvre ainsi l’acronyme le 19 juin 2013 par le fait que les partenaires sociaux entendent partager la régulation du travail[2]. Il faut dire que l’heure est à la prévention des troubles psychosociaux et musculosquelettiques, mais également à traiter sérieusement les inégalités professionnelles ou encore à répondre aux nouvelles aspirations d’un travail qui prenne sa juste place dans la vie. S’il y a plusieurs définitions dans l’accord national interprofessionnel sur la QVT, l’essentiel est d’offrir un cadre socialement acceptable dans la dynamique des réorganisations. On retiendra deux points essentiels : la remise sur le devant de la scène, trente ans après le droit d’expression, du dialogue professionnel – les fameux espaces de discussion – et la recherche d’une cohérence entre les négociations obligatoires. L’accord – un protocole suivra dans les administrations[3] – met l’accent sur l’expérimentation et le volontarisme des acteurs, la QVT étant d’abord une démarche de faire des liens entre des contraintes économiques et sociales propres à chaque situation. Est-ce là que le bât blesse ? Ces dernières années, des intervenants au niveau hétérogène se sont emparés de la QVT, pour le meilleur et pour le pire, embarquant avec plus ou moins de rigueur les conseils structurants des experts, et notamment ceux de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact). Un premier bilan fut fait à partir des premiers accords signés. Beaucoup traitaient de bien-être dans une conception floue en amorçant des dispositifs périphériques à l’activité. On s’est tous moqué des dispositifs baby-foot ou canapé rouge. L’Anact note cependant des avancées sur des enjeux sociétaux tels que l’égalité, l’inclusion ou encore le télétravail[4]. En matière d’espace d’expression, on se limite trop à une réaffirmation des rôles et dispositifs existants. Des grands groupes ont cependant travaillé à des accords denses et ambitieux. Le travail de mise en commun en amont de « ce qui fait QVT » est en soi un progrès. Mais il reste tant à conquérir en matière de participation. Aussi l’Anact et la CFDT invitent-elles à mieux situer les accords dans les transformations du travail, afin d’en intégrer les acteurs, le management, et encourageant des démarches véritablement participatives. Au final, on peut se féliciter que malgré sa récupération par les promoteurs d’un vague bien-être, la QVT s’est installée. C’était le but de l’accord de 2013. Il reste à ancrer davantage les accords dans la prévention des risques. Et c’est à partir d’une réforme du système de santé au travail que la démarche QVT retrouvera une dynamique.
Les démarches se recentrent sur le travail
Le constat partagé est en effet qu’une culture de la prévention doit prévaloir sur les mécanismes traditionnels de réparation. Une inflexion majeure rendue indispensable par la conjonction de deux facteurs : l’allongement de la durée de vie au travail et l’intensification de l’activité, qui ont créé de nouveaux risques professionnels. La crise sanitaire a mis en exergue les déficiences d’accompagnement, montré la forte demande en matière de santé mentale, ce alors même que la reconnaissance de la pénibilité physique était réduite[5]. La santé et la sécurité au travail sont une composante de la QVT. Elle-même étant une démarche engageant un regard large sur le travail et les conditions de sa réalisation, c’est bien ce corollaire qui participe à la qualité du travail et donc à la prévention primaire. C’est ainsi que l’accord national interprofessionnel du 9 décembre 2020 propose que l’approche traditionnelle de la QVT soit revue pour intégrer les conditions de travail[6]. Le glissement sémantique de la QVT à la QVCT permet d’insister sur le fait que les démarches se recentrent concrètement sur le travail : pas de prévention sans parler de la charge, du management, de conditions de travail, de l’articulation des temps de vie, de la participation, etc. Et transposant l’accord, la loi du 2 août 2021 introduit – notamment grâce à la CFDT – la QVCT dans le Code du travail qui précise les modalités de la négociation obligatoire sur l’égalité professionnelle et la qualité de vie et des conditions de travail, ainsi que le contenu de la négociation[7]. L’Anact propose aujourd’hui une démarche pour compléter ces obligations avec l’ambition de construire une vision partagée d’une organisation du travail favorable à la santé des personnes comme à la performance des entreprises[8]. Il s’agit de faire de l’activité un facteur de santé plutôt que de risques. Mieux, appelant à un nouveau cap de la QVCT, la CFDT considère que l’organisation du travail n’est pas du seul ressort de l’employeur et se négocie donc. Le taylorisme n’est pas mort et les travailleurs entendent peser largement sur les conditions de leur travail.